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20 octobre 2006





16ème Forum de la régulation à Sciences-Po : intervention de Paul Champsaur, président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes.
le 9 octobre 2006
http://www.art-elecom.fr/index.php?id=2124&tx_gsactualite_pi1[uid]=884&tx_gsactualite_pi1[annee]=2006&tx_gsactualite_pi1[theme]=0&tx_gsactualite_pi1[motscle]=&tx_gsactualite_pi1[backID]=2125&cHash=02940368a9

L’ouverture à la concurrence des grands secteurs de services marchands, autrefois en situation de monopole légal dans chaque pays a résulté d’une politique européenne délibérée. Je ne vais pas rappeler les raisons qui ont poussé l’Union européenne à agir dans ce sens. L’intervention européenne a conduit à l’ouverture graduelle à la concurrence de chaque secteur ou marché concerné. Il est bien sûr impossible de passer instantanément d’une situation de monopole à une situation de concurrence normale. Les facteurs technologiques et les structures de coût qui tendaient à des monopoles naturels n’ont pas disparu par enchantement. A cela s’ajoute le poids du passé, notamment du capital installé. Aussi il a fallu dans chaque secteur installer un régime concurrentiel spécifique, dérogatoire au droit commun de la concurrence. La gestion courante de ce régime concurrentiel spécifique a été confiée, dans chaque pays européen, à une institution spécialisée, indépendante, autorité de régulation appelée ARN dans le jargon européen. L’ART devenue ARCEP, que j’ai l’honneur de présider, en est l’exemple français dans les secteurs des Communications Electroniques et des Postes.
Le système ainsi décrit est évolutif et la situation des différents secteurs est très différenciée. En effet la facilité ou la difficulté à faire naître la concurrence varie beaucoup d’un secteur à l’autre. Le degré de concurrence atteint aujourd’hui n’est pas identique dans chaque secteur et il diffère également d’un pays à l’autre. Si la concurrence se développe et s’enracine, la régulation sectorielle perd de sa justification. Elle s’allège alors avec la perspective d’un effacement au profit du droit commun de la concurrence.

Par ailleurs et bien qu’il n’y ait pas eu d’intervention européenne en la matière, beaucoup de pays ont saisi l’occasion de l’ouverture à la concurrence pour engager la privatisation partielle ou totale de leurs entreprises publiques anciennement en monopole. Ainsi l’Europe s’est rapprochée des Etats-Unis d’Amérique qui avaient une tradition plus ancienne d’entreprises privées régulées par des autorités sectorielles comme la Federal Communication Commission (FCC) créée en 1934. L’Union Européenne a ainsi suscité une clarification des objectifs publics et une spécialisation des instruments d’intervention publique, ce qui est conforme aux recommandations classiques de l’analyse économique.
Le terme de régulation est souvent employé au sens étroit de l’activité, de la mission d’une autorité de régulation sectorielle indépendante, comme l’ARCEP pour les secteurs des communications électroniques et des Postes ou de la CRE pour les secteurs de l’électricité ou du gaz. Il faut avoir en tête qu’au sens commun du terme, et aussi au sens juridique ou économique, la notion de régulation est beaucoup plus large. De quoi est constituée la Régulation avec un grand " R " d’un secteur ? Tout d’abord la Régulation est constituée d’un cadre législatif et réglementaire ; par exemple dans les télécommunications, au niveau européen par des directives et des règlements adoptés par le Conseil et le Parlement, au niveau national par des lois votées par le Parlement et par des décrets d’application du Gouvernement. La régulation avec un petit " r ", c’est ce qui est confié par ce cadre à l’ARN. Le pouvoir de cette dernière est en effet très encadré. Il existe des mécanismes européens d’harmonisation et de surveillance des ARN par la Commission : notifications, lignes directrices, recommandations. Dans son activité l’ARCEP participe au Groupe des Régulateurs Européens (GRE), présidé en 2006 par mon collègue et ami Kip MEEK. Le GRE permet de confronter les expériences et d’harmoniser les pratiques. Il existe enfin la possibilité de faire appel à l’égard des décisions de l’ARCEP dans le système judiciaire français comme européen. En outre, en cas de désaccord entre deux acteurs du secteur, un choix est possible quant à l’institution sollicitée : Tribunal de Commerce, Conseil de la Concurrence, ARCEP. La Régulation avec un grand " R ", c’est le produit du fonctionnement de tout ce système et l’équilibre est délicat. La situation américaine illustre l’un des risques encourus. En effet, aux USA, le pouvoir s’est déplacé de la FCC vers le système judiciaire. C’est une dérive continue que certains observateurs déplorent car elle génère, à leurs yeux, une incertitude et des délais croissants. Les acteurs, notamment les plus gros, jouent de ces incohérences.
J’en viens maintenant à la Régulation du secteur des communications électroniques telle qu’elle fonctionne aujourd’hui. Le cadre législatif et réglementaire découle d’un ensemble de directives européennes, adoptées en 2002, dit " paquet télécom ", qui a été transposé en droit français notamment par la loi du 9 juillet 2004. La transposition complète incluant les décrets d’application s’est achevée début 2005.

En un mot l’ARCEP considère ce nouveau cadre comme excellent. D’une part l’ensemble des directives européennes avait été très bien conçu. D’autre part la transposition en droit français a été bien faite notamment parce qu’elle est fidèle. Ce point était particulièrement important pour le régulateur national car il conforte la sécurité juridique de son action.

Quels sont les principes fondamentaux de ce nouveau cadre ?
Premier principe : la convergence avec le droit de la concurrence.
Les méthodes et concepts du nouveau cadre sont explicitement ceux du droit commun de la concurrence. C’est notamment le cas pour les concepts de marché pertinent et d’acteur puissant (ou dominant). Ceci implique que la régulation soit flexible : il appartient au régulateur de délimiter un marché et de vérifier s’il est pertinent, de repérer le ou les acteurs puissants de ce marché et de le démontrer. Pour ce faire l’ARCEP doit recueillir l’avis du Conseil de la Concurrence puis notifier son analyse de marché à la Commission Européenne. Celle-ci dispose d’un pouvoir de veto sur la définition du marché et la désignation des opérateurs puissants, notamment à fin d’harmonisation Européenne. En outre le régulateur doit, dans le cadre de son analyse de marché, spécifier les remèdes, c’est à dire les obligations imposées aux acteurs puissants, qu’il envisage d’appliquer. Pour ce faire il doit veiller à ce que le niveau de ceux-ci soit proportionné à la situation concurrentielle du marché en question. Cette logique entraîne un recentrage de la régulation sur les marchés de gros. D’une part, l’Autorité de régulation dispose de pouvoirs lui permettant de développer de nouveaux outils de régulation sur les marchés de gros. D’autre part, une fois ces outils en place, s’il s’avère qu’ils fonctionnent correctement, la régulation des marchés de détail devient moins justifiée et s’allège, voire disparaît. Ainsi la régulation évolue : si la concurrence s’accroît la liste des remèdes s’allège. Si le marché devient pleinement concurrentiel, la régulation sectorielle disparaît et passe le relais au droit commun de la concurrence dont l’application relève du Conseil de la Concurrence. Il est donc normal que la régulation imposée à un marché donné varie dans le temps et l’espace selon l’appréciation des autorités de régulation nationales.
Deuxième grand principe : la neutralité technologique.
Auparavant il y avait une correspondance stricte entre le service et le réseau support : voix sur le réseau téléphonique commuté, télévision sur le câble ou le réseau de diffusion hertzienne et le satellite. Il n’y avait donc pas lieu de séparer la régulation du contenu et du réseau support de diffusion. La numérisation et le protocole Internet ont tout changé. Les réseaux de télécommunications et le câble sont devenus capables de distribuer tout type de contenu : voix, données, images. La régulation des réseaux doit donc viser à la neutralité technologique. La régulation doit prendre en compte la substituabilité entre réseaux, c’est-à-dire la concurrence entre les services que ceux-ci permettent d’offrir. Des réseaux différents doivent être régulés selon la même logique, indépendamment de l’information véhiculée. En conséquence, par la loi du 9 juillet 2004, le législateur a clairement séparé les fonctions de régulation des réseaux confiées à l’ARCEP, de la régulation des services de contenus audiovisuels, confiées au CSA, établissant ainsi un nouveau partage des rôles entre le CSA et l’ARCEP. Le CSA régule les contenus audiovisuels quels que soient les supports de diffusion ; l’ARCEP est en charge de la régulation des réseaux quels que soient les contenus véhiculés. La régulation des réseaux hertziens de diffusion audiovisuelle et celle des réseaux câblés relèvent désormais de la responsabilité de l’ARCEP. Les câblo opérateurs n’ont pas tardé à tirer les conséquences de ce changement. La culture et les objectifs de régulation assignés à ces deux organismes sont profondément différents. L’ARCEP est un régulateur économique et concurrentiel, le CSA est un régulateur " protecteur des libertés publiques et du lien social ", selon la classification proposée par le rapport de l’Office parlementaire de l’évaluation de la législation, rapport dont Madame Frisson-Roche a été l’un des principaux artisans.
La mise en oeuvre du principe de neutralité technologique a progressé d’un grand pas pour les réseaux fixes. En ce qui concerne les réseaux hertziens, la situation est intermédiaire. En effet, la loi de juillet 2004 n’a pas abordé en tant que telle la question d’une gestion rénovée du spectre hertzien civil, conséquence de la numérisation. A titre d’exemple, on sait quelles difficultés et incertitudes a rencontrées dans notre pays la définition des conditions dans lesquelles pourrait être offert commercialement le service de télévision sur téléphone mobile. Or, la substitution complète de la diffusion numérique à la diffusion analogique, qui devrait avoir lieu d’ici 2012, va libérer une quantité significative de fréquences. Elle offre la possibilité d’une réallocation du spectre radioélectrique actuellement utilisé pour la diffusion télévisuelle et d’une gestion plus économique de cette ressource rare. La numérisation des contenus rend caduque la spécialisation ancienne et stable, voire rigide, du spectre radioélectrique en fonction des services. L’adoption d’un système plus flexible et plus incitatif à une utilisation efficace du spectre des fréquences constitue un enjeu majeur pour notre pays à la fois économique et sociétal. C’est pourquoi le Président de la République a installé, le 4 mai dernier, le Comité stratégique pour le numérique, présidé par le Premier ministre.
Où en est-on dans la mise en oeuvre du nouveau cadre ?
A l’automne 2005, l’ARCEP a achevé l’essentiel des analyses de marché prévues. La régulation issue du nouveau cadre est donc en place.
Compte tenu de la transparence du processus d’analyse des marchés, scandée par des consultations publiques, cette régulation est bien comprise par tous les acteurs qui disposent de toute la visibilité souhaitable. Cette procédure supposait que s’instaure une collaboration étroite entre le Conseil de la concurrence et l’ARCEP. Cette collaboration a été exemplaire et je salue l’effort réalisé par le Conseil de la concurrence. Les analyses de marché ont représenté un gros travail pour le Conseil, l’ARCEP bien sûr et tous les acteurs impliqués. Je crois pouvoir dire que la qualité de ces analyses de marché est reconnue à l’étranger, à commencer par le concert européen. Grâce à cet investissement, les évolutions futures devraient pouvoir se faire aisément. Cette première étape de la mise en oeuvre du nouveau cadre a permis à l’Autorité de régulation de développer les nouveaux outils de régulation des marchés de gros que j’ai déjà évoqués. S’établissent ainsi les conditions d’une concurrence effective et loyale en aval sur les marchés de détail sans intervention directe sur ces marchés. L’objectif est de laisser une liberté maximale à l’ensemble des acteurs pour investir, innover et apporter toujours plus de services aux utilisateurs finaux dans le respect du droit commun de la concurrence et sous le regard du Conseil de la concurrence. Je souligne que la création et la disponibilité opérationnelle de ces nouvelles offres de gros n’auraient pas été possibles sans la participation active de France Télécom que je tiens à remercier.
Ces progrès accomplis dans la richesse des offres de gros ont permis à l’Autorité d’autoriser l’introduction par France Télécom de nouvelles offres de services sur les marchés de détails, démontrant ainsi qu’innovation et régulation ne s’opposent nullement. Le marché français se distingue ainsi en Europe par la richesse des nouvelles offres introduites sur le marché que ce soit en matière :
d’offre de service de convergence fixe mobile,
d’offre couplant des services de voix, d’Internet haut débit et de contenu audiovisuel,
ou de nouveaux services de capacité notamment en interface Ethernet répondant mieux à la demande des entreprises.
Les consommateurs bénéficient de cette dynamique de l’innovation.
Plus généralement le moment est venu pour l’Autorité de s’engager résolument dans la dérégulation des marchés de détail. Nous avons lancé en juillet dernier un premier allégement des obligations portant sur les marchés de détail de la téléphonie fixe. Au-delà, l’objectif est de lever toute régulation concurrentielle sur les marchés de détail d’ici au prochain cycle d’analyse de marché en 2008 au plus tard. Ainsi la régulation française a rejoint la régulation du Royaume-Uni, nos collègues britanniques ayant également annoncé en juillet dernier une évolution analogue.
En conclusion, je voudrais dire quelques mots sur les sujets que nous aurons à traiter à l’avenir notamment à l’occasion de la revue, en cours, du cadre européen.
Les directives de 2002 avaient prévu que la Commission Européenne examinerait en 2006 le fonctionnement du nouveau cadre et son adéquation aux évolutions constatées dans l’intervalle. La Commission est en train de tirer les enseignements de cette revue et de préciser les propositions qu’elle formulera au Conseil et au Parlement.
Le premier sujet est celui de la gestion des fréquences. Je l’ai déjà évoqué ; aussi je me contenterai d’une remarque. Dans ce domaine plus encore que dans les autres, une politique européenne de moyen et long terme est nécessaire. L’Europe est dotée d’une puissante industrie d’équipements de télécommunications. Cette industrie continuera à se développer à condition de pouvoir servir le marché européen unifié et se préparer à ses besoins futurs. En effet le marché européen a une taille suffisante pour que l’Europe soit en mesure de définir des normes et standards qui puissent peser voire s’imposer sur la scène mondiale. Le remarquable succès du GSM puis le succès qui se confirme de l’UMTS en sont l’illustration. Ceci suppose une politique d’harmonisation européenne du spectre radioélectrique favorisant les innovations technologiques en garantissant que celles-ci puissent tenter leur chance à l’échelle du marché européen.
En ce qui concerne les autres sujets. Le groupe des régulateurs européens (GRE) a répondu à la consultation publique organisée par la Commission. Le GRE considère que le cadre est bon et offre la flexibilité nécessaire pour faire face aux évolutions prévisibles.
Le GRE recommande donc que ce cadre ne soit pas modifié de façon substantielle. Parmi les questions évoquées dans la réponse du GRE, trois méritent, me semble-t-il, d’être signalées.
La première question résulte de ce que la mise en oeuvre du nouveau cadre, en particulier chaque analyse de marché, offre des possibilités accrues de contestation juridique aux acteurs mécontents. Il y a donc un risque de judiciarisation à l’américaine de la Régulation. Ce phénomène semble apparaître dans quelques pays européens. Les ARN de ces pays sont sérieusement gênées et préoccupées. La France n’est pas concernée notamment grâce à l’efficacité des juridictions contrôlant les décisions de l’ARCEP (Conseil d’Etat, Cour d’appel de Paris) qui traitent les recours dans des délais très courts compatibles avec le temps du marché.
La deuxième question résulte des liens croissants entre marchés autrefois bien distincts. L’exemple majeur est celui de la convergence fixe-mobile. Aujourd’hui les marchés de la téléphonie fixe et de la téléphonie mobile sont distincts. Or des opérateurs proposent ou préparent des offres combinant téléphonie fixe et téléphonie mobile. Le cadre actuel de la régulation ne s’oppose pas à ce que ces évolutions technologiques et commerciales soit correctement prises en compte. Par contre, la mise en oeuvre du cadre à travers les textes d’application de la Commission (lignes directrices et recommandations) et la conduite des analyses de marché par les ARN devront être adaptées. Cela suppose une collaboration constructive entre la Commission et les ARN de façon à lier les analyses des marchés qui devraient l’être à l’avenir.
La dernière question est posée par les investissements futurs en fibre optique dans la boucle locale. Certains opérateurs historiques comme Deutsche Telekom réclament un moratoire de la régulation du haut débit en contrepartie de leur engagement à effectuer des investissements en fibre optique. A leurs yeux cette suspension de la régulation serait justifiée par la nécessité d’assurer une rentabilité suffisante à des investissements qui, sinon, ne seraient pas entrepris. Il est clair qu’un tel moratoire aurait pour effet de reconstituer une situation de monopole dans les nombreux pays européens comme la France où la seule infrastructure alternative, à savoir le câble, est faiblement développée. L’ARCEP et la plupart des ARN sont opposées à un tel moratoire. Nous considérons que le cadre actuel est suffisamment souple pour rendre compatibles d’une part, la préservation de l’ouverture de l’infrastructure à tous les opérateurs qui souhaitent y accéder et d’autre part, la rentabilité de l’investissement nouveau dont le financement serait, en quelque sorte, mutualisé.
Au terme de ce tour d’horizon, je n’ai certainement pas traité tous les sujets qui vous intéressent. En particulier je ne vous ai fourni aucune donnée permettant de décrire les évolutions du secteur et de mieux fonder une appréciation des effets de la régulation. Peut-être ai-je voulu éviter le risque d’autosatisfaction ?
Je vous remercie.