Ouvrir un espace d'information et de veille stratégique en Afrique sur les télécommunications et les TICs. Promouvoir les échanges entre les acteurs qui s’intéressent à la convergence, le droit, l’économie, la veille concurrentielle, les réseaux, la stratégie des opérateurs et l'intelligence économique en télécommunications et TIC. Echanger et s'informer pour suivre l'évolution des communications électroniques qui sans cesse subissent la vitesse du changement.

08 avril 2008

Paquet Télécom, troisiéme acte

Quel bilan faites-vous de l’Europe des télécoms ?
Paul Champsaur : le cadre réglementaire européen adopté en 2002 a été remarquablement bien conçu et il a bien fonctionné, comme en témoignent les résultats obtenus. La concurrence s’est beaucoup développée et a été bénéfique tant aux acteurs qu’aux consommateurs. En voici quelques exemples : en 2003, l’Europe comptait 23 millions d'abonnés haut débit ; ils sont 100 millions au 1er janvier 2008. Dans le même temps, le nombre des abonnés mobiles a crû de 370 à 495 millions ; la convergence et le haut débit mobile (la 3G représente 20% des
abonnés mobiles européens) se généralisent et de nouveaux modes de communication apparaissent. Selon le 13ème rapport de la Commission européenne, rendu public le 20 mars dernier, le secteur des communications électroniques a généré en 2007 un chiffre d’affaires
de 300 milliards d’€, soit 2% du PIB de l’Union. 50 milliards d’€ ont été investis dans le secteur en 2007, autant qu’aux Etats-Unis. Tout cela est le fruit d'une concurrence dynamique et de prix en forte baisse. Pour le consommateur européen, la libéralisation des marchés des télécommunications est un vrai succès. Cela dit, chemin faisant, des problèmes sont apparus dans l'application de ce cadre européen, notamment en matière d'harmonisation. Par exemple Prenons l'exemple du dégroupage :
aujourd’hui, le principal objectif de la régulation concurrentielle en Europe occidentale est d’assurer l’accès à l’infrastructure essentielle que constitue la boucle locale fixe. En effet, Nous voici depuis quelques mois déjà – et probablement pour quelque temps encore – entrés dans une phase de révision du cadre réglementaire européen des télécommunications. C’est une période d’autant plus intéressante qu’elle coïncide avec la présidence française de l’Union… Autant d’occasions pour faire un bilan des forces et faiblesses du cadre actuel, et pour nous projeter dans l’avenir afin de jeter les bases de l’Europe des télécoms de demain.
Tout d’abord, force est de constater que le cadre actuel est globalement positif : en soutenant l’indépendance des régulateurs, et en les dotant des outils adéquats, il a permis, par exemple dans le haut débit, d’instaurer une concurrence qui a été un facteur d’innovation et d’investissement à la fois des nouveaux entrants, mais aussi des opérateurs historiques. Qui eût cru qu’en quelques années, il permettrait à 8 pays européens, dont le nôtre, de dépasser les USA en terme de pénétration et à la France de figurer au 2ème rang mondial en terme
d’usage de la VOIP, après le Japon, en pourcentage de la population utilisatrice ? D’ailleurs, plusieurs pays hors d’Europe nous envient ce cadre équilibré et s’en inspirent. C’est aussi l’Europe qui, sur des sujets transnationaux comme le roaming international a permis des avancées significatives. Enfin, en donnant des avis positifs sur les projets de partenariat publics-privés notifiés par les collectivités locales, c’est encore l’Europe qui a permis Gabrielle Gauthey, Membre de l’Autorité Le Parlement européen et le Conseil se sont engagés dans l'examen des propositions de la Commission européenne visant à modifier le cadre réglementaire des télécommunications. Pour le secteur, c’est le 3ème examen du « paquet télécom » en 15 ans. Changements institutionnels, procédures d’analyse des marchés, nouveaux remèdes aux problèmes de concurrence constatés, gestion du spectre des fréquences beaucoup de pays, et non des moindres, il n’y a qu’un réseau de boucle locale couvrant tout le pays, et il est détenu par l’opérateur historique en situation de monopole de fait sur ce segment de marché.
La concurrence ne peut fonctionner que si les concurrents peuvent accéder dans des conditions financières et opérationnelles non discriminatoires à cette boucle locale.
Or, si l’on constate une assez bonne convergence des tarifs de gros du dégroupage dans les
différents pays, j’estime que les conditions opérationnelles n'ont pas convergé en Europe ;
au contraire, il y a des pays qui font nettement mieux que d'autres pour assurer le développement de la concurrence, en particulier la non discrimination entre opérateurs entrants et opérateurs historiques. Ainsi, dans certains pays, les prestations d’accès à sa boucle locale (délais, qualité de service) accordées par l’opérateur historique à ses concurrents sont franchement dégradées par rapport à celles dont il bénéficie en interne pour construire ses propres services de détail.
Ainsi, implicitement, il y a plutôt divergence que convergence. Comment peut-on y remédier ?
C'est compliqué ! Il n’est pas aisé pour le régulateur d’y remédier autrement que par un travail technique opiniâtre basé sur un suivi régulier et des contacts permanents avec tous les opérateurs concernés. Pour cela, il faut développer toute une série d'instruments adéquats, des instruments d'information comptable sur les coûts, des outils de suivi de la qualité de service, c’est à dire des indicateurs de qualité sur les marchés de gros et de détail. Ils permettent de vérifier si l’on converge ou pas, si on approche de la non discrimination ou pas. Je note au passage que le vrai indicateur sur le marché du haut débit est le dégroupage total, tant en
termes de nombre de lignes que de qualité de service. En France, nous avons fait un effort important. Ce n’est pas le cas d'autres pays européens où l’on constate que les opérateurs alternatifs ne bénéficient pas de conditions opérationnelles d'accès au réseau satisfaisantes. Face à ces difficultés résultant de la difficulté de réguler l’opérateur historique verticalement intégré, il peut être tentant d’emprunter une autre voie, celle de la désintégration verticale.
Vous faites allusion à la séparation fonctionnelle ?
Tout à fait. La séparation fonctionnelle est aux télécoms ce que l’arme de dissuasion nucléaire est à la défense. Pour que le régulateur n’ait pas à l’utiliser, sa menace doit pousser les opérateurs à des comportements vertueux. Sur ce sujet, notre ligne est simple : s’il n’est pas question d’empêcher un pays d’adopter la séparation fonctionnelle comme remède approprié à sa situation, il n’est pas souhaitable que la Commission promeuve l’application systématique de ce remède lourd et difficilement réversible. Cette approche, retenue en Grande Bretagne avec la création d’OpenReach, entité séparée au sein de BT, pérennise l’existence d’un monopole naturel, la boucle locale, réputée alors non duplicable et donc durablement régulée.
Prendre cette voie, c’est stopper l’extension de la concurrence par les infrastructures et repousser indéfiniment l’effacement complet de la régulation sectorielle au profit du droit commun de la concurrence alors que ces principes sont au cœur du cadre européen. En outre, la capacité d’opérateurs concurrents à investir dans leur propre boucle locale leur donne une autonomie technologique maximale, source de différenciation dans les services et auprès des consommateurs, qu’ils n’auraient pas s’ils devaient recourir à une boucle locale commune, même bien régulée. Les exemples de la substitution de la fibre au fil de cuivre, ou du raccourcissement de la boucle locale (NRA-ZO par exemple) en témoignent. Par ailleurs, la séparation fonctionnelle est en contradiction avec l’objectif de neutralité technologique, autre pilier du cadre européen.
Que pensez-vous de la réforme du cadre institutionnel ?
Je vous l’ai dit en préambule, le cadre actuel est bien conçu : il fonctionne selon les mêmes principes que le droit commun de la concurrence et offre une flexibilité qui permet d'accompagner l'évolution des marchés. Sa logique et ses grands principes restent d’actualité. Les évolutions à y apporter doivent donc à mon sens être modestes. Je note en second lieu que les télécoms, comme les autres secteurs économiques, doivent s’inscrire dans le schéma de fonctionnement institutionnel de l'Europe tel qu’il existe. Ce cadre institutionnel est marqué par un certain équilibre des pouvoirs entre les Etats membres et les Institutions eurod’asseoir
une jurisprudence sur un modèle d’intervention innovant et dont le bilan est positif pour la couverture en haut débit de notre territoire. Il nous revient aujourd’hui d’adapter ce cadre. Au-delà de l’allègement prévu de la régulation dans les domaines où l’on constate une situation de concurrence pérenne, de nouveaux développements risquent de se heurter à des « goulots d’étranglement » durables sur lesquels la régulation sectorielle doit se concentrer.
Quels sont-ils ?
Tout d’abord, le très haut débit : l’arrivée de la fibre dans le réseau d’accès est structurante pour les décennies à venir ; elle est porteuse de formidables opportunités mais aussi de risque de retour au monopole, en raison du montant des investissements en jeu, notamment dans les infrastructures passives. Très vite, l’Europe a réfuté le « regulatory holiday » en vogue outre-Atlantique. Forte des recommandations des régulateurs réunis au sein du GRE, en particulier de la France, qui était en avance dans la réflexion, elle envisage de doter les régulateurs de nouveaux outils à même de préserver dans ce contexte nouveau, la concurrence et l’incitation à l’investissement : accès aux fourreaux, mais aussi obligation symétrique de partage des
infrastructures, notamment de la fibre, afin d’éviter la reconstitution de monopoles et même, pour les pays qui le souhaitent, séparation fonctionnelle. Il s’agit là d’un outil supplémentaire optionnel, n’ayant vocation à être employé qu’en cas de constat d’échec des outils précédemment mentionnés. Le second sujet est celui de la poursuite de l’harmonisation, là où elle est nécessaire. Elle apparaît déterminante dans deux domaines : le spectre et le traitement des terminaisons d’appels mobiles. L’Europe est trop morcelée pour pouvoir faire l’économie d’une harmonisation européenne plus proactive de certaines bandes de fréquences (télévision mobile, dividende numérique…) si nous voulons qu’une industrie européenne se développe et que les mobiles puissent passer les frontières. « Pour le consommateur européen, la libéralisation des marchés des télécoms est un vrai succès. » péennes, et se traduit notamment par une coopération constructive entre la Commission et les Etats, qu’ils soient représentés par les gouvernements, ou par les régulateurs. Nous souhaitons que le nouveau cadre réglementaire européen des télécoms s’accommode des institutions européennes telles qu’elles sont et permette une collaboration plus dynamique entre les Etats et la Commission.
Comment ?
Actuellement, cette coopération s’effectue à travers le Groupe des Régulateurs
Européens (GRE), qui rassemble la Commission et les 27 régulateurs nationaux. Mais,
embarrassée par la recherche du consensus, une assemblée de régulateurs indépendants ne
peut guère aller au-delà de l’échange d’expériences et, au mieux, de la mise en évidence
prudente des meilleures pratiques. En conséquence, pour progresser, il faut que la Commission soit impliquée et s'implique.
Que proposez-vous exactement ?
Il faut instituer une collaboration constructive permanente entre le GRE, érigé en Comité
Consultatif doté d’une nouvelle gouvernance (NDLR : un peu à la manière du Comité des
autorités nationales de concurrence, cf page 9 ), et la Commission ; que celle-ci, après avoir pris en compte, en y participant, les travaux des groupes de travail du GRE, formule des propositions et demande formellement son avis au GRE ; que ce dernier se prononce à la majorité ; qu’enfin, les mesures adoptées dans la transparence, notamment vis à vis du Parlement européen et du Conseil, soient mises en oeuvre par tous. La Commission s’appuierait ainsi sur les compétences techniques fortes des régulateurs nationaux pour formuler des propositions et ne pourrait se lancer dans des initiatives qui n'accueilleraient pas une approbation suffisante de la part des régulateurs, donc des Etats. La Commission doit s’appuyer sur les compétences des ARN. Mais elle seule a la légitimité pour mobiliser ces compétences au service de l’Europe.
L’EECMA, si elle est créée, n’organise-t-elle pas cette coopération ?
L’EECMA permettrait certes à la Commission de disposer de moyens accrus au niveau européen mais elle ne la forcerait plus à s'appuyer sur les compétences des régulateurs, beaucoup plus en phase avec les réalités techniques du terrain et les problèmes concrets des consommateurs. Par ailleurs, et surtout, l’EECMA bouleverse l'équilibre des pouvoirs entre la Commission et les Etats membres puisque, par son intermédiaire, la Commission se trouve dotée de pouvoirs bien plus forts, notamment celui de veto sur les remèdes, et de modification de ces remèdes. Elle peut donc imposer des décisions sans réellement demander l'avis des Etats, ce qui n’est ni admissible, ni cohérent avec l'équilibre institutionnel actuel. Traditionnellement, pour réaliser ce type de bouleversement dans l'équilibre des pouvoirs entre la Commission et les Etats, il faut un Traité. Je m’interroge sur la cohérence de la Commission en la matière : ainsi, à propos de la demande de certains Etats de créer un « super-régulateur » des marchés financiers, Manuel Barroso, président de la Commission européenne, leur a répondu, dans le cadre d’une interview au Financial Times :
« We certainly have no intention at all of having some kind of European super-regulator. But we want increased transparency and more cooperation among regulators ».
Tout le monde s’accorde à dire qu’il y a un besoin accru d’harmonisation en Europe.
D’où vient le déficit actuel ?
Du fait de sa flexibilité et de son articulation avec le droit commun de la concurrence, le cadre
de 2002 réclamait de la part des autorités de régulation nationales (ARN) un effort important de mise à niveau et de redéploiement (plus d’analyses technologiques et économiques pour justifier les décisions envisagées, plus de transparence). Dans l’ensemble, les ARN ont réussi et la qualité de leur expertise est dorénavant un atout pour le secteur. Par contre, la Commission n’a pas, de son côté, réalisé un effort similaire, en partie parce qu’elle a consacré beaucoup de moyens au contrôle essentiellement juridique des décisions proposées par les ARN. De ce fait, les services de la Commission manquent d’expertise et de moyens dans plusieurs domaines, notamment en matière de spectre.
Par ailleurs, il existe encore une trop grande disparité dans les méthodes de calcul du coût des terminaisons d’appels, à la fois entre les pays, mais aussi entre les opérateurs fixes et mobiles, ce qui induit d’importantes distorsions de concurrence. C’est bien à l’Europe qu’il revient de fixer les lignes d’une nouvelle direction dans ce domaine. Enfin, le troisième sujet est celui de la convergence tant annoncée entre les contenus et les réseaux qui suppose des avancées dans deux domaines : l’évolution des conditions d’accès aux contenus d’une part et une plus grande harmonisation des conditions de gestion du spectre entre les secteurs des télécoms et de l’audiovisuel, tenant compte notamment de la numérisation des contenus. Là encore, sans aller jusqu’à adopter l’extrême flexibilité qui apparaît comme la cible fixée par la Commission dans ses propositions, c’est bien l’Europe qui devrait nous permettre d’avancer.
Il est normal que, comme à chaque révision, se pose la question de l’équilibre des pouvoirs entre Etats membres, régulateurs nationaux et la Commission pour concilier meilleure prise en compte des réalités locales et plus grande efficacité.
Le groupe des régulateurs européens est une instance essentielle où se forge une culture commune de la régulation, où s’élaborent des outils de comparaison de l’efficacité des
politiques de ses différents membres, mais aussi où se pensent les évolutions de la régulation.
Ce réseau informel doit évoluer vers une entité reconnue en droit européen, responsable devant les institutions européennes et doté d’une gouvernance effective. Ce n’est qu’à cette condition qu’il deviendra un partenaire efficace de la Commission et qu’il l’assistera dans
les initiatives d’harmonisation qu’elle seule doit et a le pouvoir de mener. Ne nous leurrons pas, nous sommes à un moment essentiel où il est de notre devoir de collectivement anticiper,
participer au débat qui s’ouvre, proposer, afin de construire ensemble les grandes lignes du cadre européen et français de demain au profit du consommateur, de l’innovation et de
l’investissement dans les communications électroniques.
D’autres questions nouvelles méritent-elles l’attention ?
La convergence fixe-mobile tout d’abord, qui soulève aujourd’hui de nouvelles questions de
concurrence. Le cadre actuel a installé une paroi quasiment étanche entre réseaux fixes et réseaux mobiles. Cette approche s’expliquait par les situations respectives des réseaux fixes, stables, et des réseaux mobiles, en plein développement. Elle n’est plus justifiée aujourd’hui et les conditions de concurrence entre réseaux fixes et mobiles sont déséquilibrées au bénéfice des seconds. Ainsi, le tarif régulé de terminaison d’un appel fixe vers mobile est infiniment plus cher que le tarif réciproque…
Cela n’est aujourd’hui plus justifié. De même, un opérateur de réseau mobile peut
aujourd’hui investir dans la construction d’un réseau haut débit fixe complémentaire de son
réseau mobile de façon à offrir des services convergents fixe-mobile. Par contre, un opérateur fixe peut difficilement s’engager dans la voie réciproque du fait de la rareté des fréquences et des contraintes restrictives imposées par les opérateurs mobiles aux accords de MVNO. Un rééquilibrage harmonisé doit avoir lieu afin que les opérateurs, partout en Europe, puissent faire des offres de convergence fixe- mobile dignes de ce nom. Pour terminer, le nouveau cadre européen aborde, pour la première fois, les questions de l’accès aux contenus.
Quelle est la problématique ?
Si nous voulons que le très haut débit se développe, il faudra des services de qualité. Or,
aujourd’hui, il existe, pour les opérateurs télécoms qui vont investir dans la fibre optique, un
vrai problème d’accès aux contenus. Le développement du très haut débit suppose en effet que les opérateurs aient un accès raisonnable aux contenus audiovisuels, et qu’un partage équitable de la valeur puisse être mis en place. Cette question n’est d'ailleurs qu'un élément
de la problématique contenant/contenus. Il est difficile d'imaginer qu'il puisse y avoir beaucoup d'investissements dans les nouveaux réseaux pour accroître les débits (c'est-à-dire pour faire passer des contenus audiovisuels, ou d'autres contenus) si les opérateurs de réseaux ne récupèrent pas un peu d’argent au passage. Le problème de l’accès aux contenus des réseaux télécom et les questions de neutralité du net doivent clairement être posées. Je ne suis pas partisan de la neutralité pure et dure ; il me semble normal que les services qui tirent effectivement parti des infrastructures, qui utilisent la bande passante, comme les fournisseurs de services audiovisuels,
contribuent au financement des réseaux, c’est à dire à l'investissement réalisé par les opérateurs pour augmenter la bande passante et garantir la qualité de service.
Et cela s’est traduit soit par un manque d’harmonisation, soit par des interventions trop tardives et donc excessives quand les problèmes devenaient criants (par exemple le règlement européen sur l’itinérance internationale ou roaming qui va jusqu’à déterminer les prix de détail) alors que des actions plus précoces, plus modestes et respectueuses de la logique fondamentale du cadre auraient été suffisantes.
Vous considérez donc que la Commission n’aurait pas dû fixer arbitrairement les tarifs de détail du roaming ?
Le cadre actuel est difficilement intelligible par le grand public car il repose sur des principes relativement abstraits et parce que sa mise en oeuvre est inévitablement complexe. Par exemple, le fait que la régulation se concentre sur les marchés de gros et plus particulièrement sur les goulots d’étranglement alors que les marchés et les prix de détail sont peu ou pas régulés, ne se justifie pas de manière simple. Aussi quand un problème est reconnu par le grand public sur un marché de détail, par exemple les tarifs d’itinérance internationale (ou les tarifs des appels surtaxés), il est tentant de court-circuiter la démarche normale du régulateur consistant à examiner et éventuellement influencer les marchés de gros sous jacents avant toute intervention sur les marchés de détail. Pourtant, cette démarche est la seule qui réconcilie les intérêts de long terme des consommateurs, du secteur et de l’économie européenne. Il n’y a donc pas d’alternative à ce que les régulateurs et les institutions concernées expliquent patiemment leur action et développent leurs relations avec les associations d’usagers. Les opérateurs ont aussi un rôle à jouer dans cet effort d’explication. Cela signifie qu’ils doivent accepter de bonne grâce la perspective d’une concurrence saine plutôt que de défendre trop longtemps des rentes susceptibles d’entraîner en réaction une régulation excessive et dommageable à tous.
Vous avez mentionné le spectre hertzien : estimez-vous que le nouveau cadre institutionnel proposé par la Commission est satisfaisant ?
En matière de fréquences, les décisions de répartition entre grands usages (sécurité, audiovisuel, télécommunications, …), ainsi que les modalités financières d’allocation relèvent des Etats nationaux. Les règles que la Commission veut généraliser – neutralité des services, allocation par pur mécanisme de marché en matière d'attribution du spectre – sont louables dans l’absolu, mais ne sont pas adaptées, car l’Europe n’a pas une structure fédérale. La Commission ne peut donc pas adopter des principes et des méthodes dont les bienfaits supposent qu’ils soient mis en œuvre au niveau fédéral, alors qu’en Europe ils le seraient au niveau des Etats avec le risque d’une fragmentation du marché européen. Les Etats savent bien qu’une harmonisation européenne prospective est une condition nécessaire pour que se développent un grand marché intérieur d’équipements et une forte industrie européenne.
Il n'y a donc pas d'alternative à une harmonisation européenne dans le cadre de l'équilibre actuel des pouvoirs. Et jusqu’ici, dans ce domaine, la Commission n'a pas suffisament anticipé. Elle n'a pas mis assez tôt sur la table des propositions d'harmonisation sur lesquelles les Etats auraient pu prendre position ; elle n'a même pas aidé les Etats à faire des choix corrects chez eux. La Commission doit maintenant se doter, si possible en interne, d’une compétence technicoéconomique suffisante pour pouvoir proposer aux Etats une politique d’harmonisation active dont le premier bénéfice serait de les éclairer sur les choix délicats concernant l’affectation du spectre hertzien à différents usages.
Vous pensez au dividende numérique ?
Oui, il s’agit bien d’une mesure d’harmonisation de l’usage du spectre sur le territoire de l’Union Européenne effectivement nécessaire pour qu’un pays européen puisse développer sur les parties les moins denses de son territoire des services mobiles à très haut débit (une à plusieurs dizaines de Mbit/s) sans que ceux-ci soient brouillés par les émetteurs audiovisuels hertziens à forte puissance des pays voisins. Cette mesure d’harmonisation est également une condition pour que l’industrie européenne se lance dès aujourd’hui dans la mise au point des équipements qui pourraient alors être disponibles au début de la prochaine décennie, c’est à dire dès que seraient libérées, par l’extinction de la diffusion hertzienne analogique, les fréquences adéquates. Pourtant, l'Europe est allée en ordre dispersé à la Conférence Mondiale des Radiocommunications de Genève. On peut même dire que la Commission est arrivée après la bataille. « Il me semble normal que les fournisseurs de services audiovisuels contribuent au financement du très haut débit. »