Ouvrir un espace d'information et de veille stratégique en Afrique sur les télécommunications et les TICs. Promouvoir les échanges entre les acteurs qui s’intéressent à la convergence, le droit, l’économie, la veille concurrentielle, les réseaux, la stratégie des opérateurs et l'intelligence économique en télécommunications et TIC. Echanger et s'informer pour suivre l'évolution des communications électroniques qui sans cesse subissent la vitesse du changement.

01 décembre 2006

Pourquoi les entreprises sénégalaises se mettent aux marques


Au Sénégal, ces deux dernières années, on a noté une vague de changement de marques. Après Total, Hello, AGS, c’est autour de Sonatel et d’Alizé de faire leur mutation. Total (dont la dénomination antérieure était Totalfinaelf en France ) est restée Total au Sénégal ; Hello est devenue Tigo ; Sonatel, &Sonatel ; et Alizé sa branche mobile est devenue Orange en intégrant aussi Sentoo, et keurgui TV. Ces entreprises ont toutes pour point commun d’être, à l’exception d’Amsa, des filiales de Multinationales. Mais que se passe t-il soudain pour que toutes ces entreprises énumérées ci-dessus s’occupent de leurs marques en opérant un dépoussiérage très visible sur les rues de Dakar ?
La réalité est que la communication n’est qu’à ses premiers balbutiements au Sénégal et les budgets de communication ne sont pas si importants. Les responsables de communication sont pour la plupart des journalistes qui n’ont pas une réelle formation en communication et en marketing qui leur permette d’impulser de véritables stratégies de marque. Le marché sénégalais, n’a pas aussi atteint une maturité suffisante pour que les managers pensent à investir sur leurs marques de manière à maîtriser leur image. Ils ont plutôt le réflexe publicité, étant entendu que c’est un phénomène nouveau. Un autre handicap existe qui est relatif à l’absence d’offre en expertise locale sur la création de marques, les publicitaires et les studios graphiques prenant en charge les chantiers de marques alors que cela est loin d’être leur spécialité.
En effet, seuls les multinationales et certains annonceurs ayant des ambitions d’implantation sous-régionale voire mondiale, avec une culture marketing et communication plus poussée, comprennent mieux les enjeux et acceptent ainsi d’investir dans leurs marques de manière à occuper l’espace. Pour cela, ces multinationale se dotent d’un même discours de marque, se soucient d’avoir une image similaire partout, mais surtout, travaillent à réaliser des économies (ce qui est par ailleurs bien compréhensible). L’astuce consiste alors à confier ces budgets à de grands cabinets européens voire américains dont la création d’identité visuelle est la spécialité (en Europe comme aux Etats Unis, la création de marques est affaire de spécialité, mais pas une affaire de publicitaires, et on dénombre peu d’agences réellement spécialistes : Landor, Future Brand, Ikonomia, A & Co, Carré noir, Desgrippes et Gobé, Dragon rouge, etc ...).
La création d’une identité visuelle est évidemment un investissement lourd, mais il confère l’avantage de se doter d’une charte graphique (ensemble des règles d’application stricte de sa marque sur l’ensemble des supports utilisés par l’annonceur en question) qui permet de maîtriser son image en termes de couleurs, de structure, de polices et de style graphique. Et puis l’avantage de ces identités est qu’elles sont si fortes qu’elles durent (15 ans). Mais dans la stratégie qui consiste à se doter d’une marque, une chose est intéressante à savoir. La marque étant un capital de l’entreprise, elle a nécessité un investissement qui devra de ce fait être amorti lorsque la maison mère décide d’en faire profiter à une de ses filiales. La logique de solidarité et d’amortissement prévaut ici. C’est ce que l’on appelle les « brand fees ». Les multinationales et certains annonceurs à vocation d’extension sous régionale ont bien compris cela et investissent dans leurs marques et tirent un bénéfice à tous points de vue. Les cas qu’on va évoquer sont ceux qui se sont faits remarquer durant ces deux dernières années au Sénégal. Certains groupes sénégalais ont bien entendu tenté l’expérience, mais avec des marques sans véritable envergure.
Totalfinaelf devient Total
Total, est née en 1999 suite à la fusion des trois entités : Total, Petrofina et Elf). Première capitalisation boursière française (100 milliards), et 4ème groupe pétrolier mondial en termes de production, réserves, raffinage et distribution), Total a changé de nom en changeant d’identité visuelle. Ce changement de nom ne s’est pas fait de façon fortuite, puisqu’en effet, elle découle d’une enquête en interne à l’issue de laquelle, les dirigeants de Total se sont rendus compte que Total est le nom marque sur lequel, il y a une plus forte potentialité ; en plus ce nom de marque est de loin le plus connu (de toutes ses marques) et le plus présent dans le monde entier en termes de réseaux de distribution ( présence dans 120 pays). L’un des aspects qui a motivé ce changement de nom et d’identité était surtout de corriger une image écornée par le naufrage de l’Erika, l’explosion de l’usine AZF de Toulouse, et aussi l’affaire Elf. Mais ce changement quoique destiné à faire oublier cette image écornée n’a pas pour autant eu pour conséquence d’occulter les marques Elf et Fina en termes de couleurs : le rouge de Total est maintenu, le bleu foncé de Petrofina aussi, le bleu clair d’Elf également, et l’ocre qui est censé symboliser la couleur de la terre est venu compléter la palette des couleurs de la marque. Des marques comme Elf n’ont pas, malgré tout disparu, celle-ci étant restée la marque lubrifiants du groupe dans le monde. Le mérite d’une telle stratégie est d’arriver à créer non seulement une marque mondiale qui se lit et se prononce à peu près de la même façon partout dans le monde, de véhiculer une image mondiale unique, mais aussi d’arriver à en faire une marque internationale qui s’adapte localement à travers tous les points de vente du monde entier (16 000 points de vente). L’un des plus gros avantages est aussi pour Total de maîtriser son image puisque l’identité visuelle (logo, structure, couleurs, style graphique, typographies) s’applique partout et de la même façon sur l’ensemble des supports utilisés, de par le monde (charte graphique). On doit cette marque au cabinet parisien A & Co qui a aussi créé la marque BNP Paribas (Bicis).
AGS devient Amsa Assurances
L’autre cas que l’on peut citer est qui est sans doute particulier, c’est celui d’AGS qui a changé de nom pour devenir Amsa Assurances qui veut dire « Tiens ton assurance ». AGS se confondait souvent avec AGF (Assurances générales Françaises) ainsi que AGS Cazala (déménagement) et ceci était un sérieux handicap surtout en ce qui concerne l’image d’AGS. AGS avait la particularité d’être un groupe d’Assurances présent en Afrique de l’Ouest avec comme positionnement celui d’être un assureur africain. AGS est donc devenu Amsa Assurances et a eu recours à un grand cabinet français dénommé Ikonomia (à qui on doit les marques Moulinex, Mairie de Paris, Banque de France, etc....) pour créer sa nouvelle marque. Cette marque est l’opportunité non seulement d’un changement de nom, mais aussi celle de créer un nom de marque unique sur l’ensemble de la sous région (Sénégal, Côte d’Ivoire, Togo) et d’avoir un positionnement d’assureur africain. Cela veut dire comme dans le cas de Total, la création d’une marque unique, avec le même nom, les mêmes packages (produits et services) et les mêmes discours de marque. Cela permet non seulement d’avoir une communication unifiée avec quelques nuances (aspect culturel), de faire des économies (reproduction des mêmes opérations d’installation de la marque) en termes de temps et de préparation, et du coup de maîtriser son image partout où l’entreprise est présente. Et c’est enfin, un instrument d’intégration sous régionale dans le cas d’Amsa puisque le client qui voyage en Afrique de l’ouest retrouve l’enseigne au moins dans trois Etats membres.
Tigo et Orange : la course au rebranding
La course au rebranding est sans doute ce qu’on pourrait appeler une « guerre » sans merci entre opérateurs au niveau mondial. Cette stratégie utilisée et qui consiste à créer des marques mondiales dans le domaine des télécommunications et à chercher à s’étendre à l’infini, avec une seule image, est caractéristique de l’environnement des télécommunications au Sénégal. MTN l’a fait, Areeba aussi, et bien d’autres le suivront. On ne le voit pas alors pourquoi Sonatel et Sentel qui sont filiales de grands groupes mondiaux ne seraient pas concernées.
Le changement de marque (identité visuelle) dans le domaine des télécommunications au Sénégal ne passe pas inaperçu. Hello est devenue Tigo, Alizé Orange et Sonatel &Sonatel. Il faut préciser que dans les deux cas, les stratégies sont légèrement différentes puisque chaque entité ne possède pas le même nombre de marque : Sentel reste la marque institutionnelle plus discrète, alors que Tigo est la marque mobile, marque phare, (filiale de Millicom International). France Telecom est en ce qui la concerne, la maison mère de Sonatel est devenue &Sonatel (marque institutionnelle discrète, créée par le cabinet de design Landor ) alors que Orange, marque phare (marque achetée par France Télécom à une firme anglaise The orange phone) englobe désormais Sentoo (internet), keurgui TV et Alizé (mobile).
Cette "guerre" entre les deux opérateurs, a réellement débuté avec Hello qui est devenue Tigo et l’annonce du changement a frappé les esprits du fait du teasing (technique de publicité qui consiste à susciter la curiosité du public en occultant les noms et la marque des produits en question) remarquablement orchestré par l’agence Optima en charge de la communication. Ce changement de marque n’est pas passé inaperçu puisqu’on a eu droit à un « rebranding » (application de la nouvelle marque dans les agences commerciales, les points de vente, murs, lâchers de ballons, signalétique, totems, et sur les autres supports, etc ...) pour marquer les esprits et surtout matérialiser la nouvelle identité visuelle à travers les couleurs bleu et blanc du logotype avec une dominante bleue. Comme pour accompagner l’élan, Tigo est arrivée avec un arsenal efficace qui est la politique des petits prix (recharges à 1000 F, 100 F, échange de crédits, etc...), sans parler des jeux concours animés par le célèbre Kouthia sur la station Walf Fm. Et tout ceci a contribué à vulgariser la nouvelle identité visuelle de Tigo en en faisant une marque médiatisée, en releguant Sentel au second plan dans le but d’en faire une marque discrète et institutionnelle du groupe. Mais en faisant tout ceci, Tigo n’a pas lésiné sur les moyens puisqu’elle savait qu’Alizé allait devenir Orange et qu’elle allait aussi chercher à occuper l’espace et à marquer les esprits. Il faut dire que le choix de Tigo de marquer son territoire de communication par la couleur bleue n’est pas fortuit en ce sens que Orange marque phare de Sonatel va marquer elle-même son territoire par la couleur. Millicom, la maison mère de Tigo et de Sentel a également choisi dans son cas d’adopter une stratégie d’unification de sa marque Tigo au niveau mondial, puisque la marque mobile est celle qui est toujours la plus médiatisée puisqu’elle génère plus de profits.
Et Alize, Keurgui Tv et Sentoo deviennent Orange
Quant à Sonatel, devenue & Sonatel accompagnée de sa esperluette, elle signifie la « notion de relation » et exprime par la même occasion la communication et l’échange. Mais elle reste une marque institutionnelle, discrète comme c’est le cas avec Sentel.
Que dire d’Orange sinon que c’est la marque pivot d’&Sonatel qui englobe désormais l’offre internet, mobile, et keurgui TV puisqu’elle rapporte plus de profits. La nouvelle marque Orange est à la couleur orange comme la couleur l’indique d’ailleurs avec la police en blanc. Cette couleur mise en évidence sur un fond majoritairement noir confère une très bonne visibilité. Le nom « Orange » ne manque alors pas de susciter une interrogation puisque d’aucuns dans le grand public trouve bizarre et incohérente l’idée de dénommer une société de téléphone « orange », nom de fruit de surcroît. La même interrogation peut aussi être soulevée quant à la signification de Tigo (même si le nom semble moins équivoque qu’ « orange »). Tigo ne veut rien dire au Sénégal, mais Orange peut aussi sembler incohérent. Mais il n’en est rien. France Telecom a choisi d’unifier son nom de marque mobile, orange, marque phare, partout où elle est présente dans le monde entier. Ce qui est à retenir est que dans le cas de Tigo comme d’Orange, le nom de marque ne pose pas de réel problème tant qu’il n’a pas une consonance négative, tant qu’elle n’est pas difficile à mémoriser. Le nom est en fait un élément de la marque et le grand public finit par s’y habituer, à une condition, celle d’évoquer quelque chose pour le client ou les publics de l’entreprise. Tout est une question d’association entre la marque elle même et ce qu’elle représente dans l’esprit du consommateur et du public. C’est d’ailleurs ce qu’Orange a bien compris qu’elle exprime la notion de convergence à travers l’offre globale internet, mobile, cinéma. Bien sûr Orange compte aussi comme son très sérieux concurrent Tigo arriver avec un cortège de « petits prix » et des promesses sérieuses pour accompagner sa nouvelle marque. Le lancement de la nouvelle marque Orange est tout de même plus timide que celui de Tigo puisqu’il n’a pas été fait avec la même intention de susciter la curiosité du public. L’argument qui plaide défaveur d’un teasing pourrait résider dans l’idée que le teasing peut avoir un effet banalisant puisque le concurrent en a déjà usé (d’autres annonceurs aussi), et qu’en plus de cela, il n’était pas un secret qu’Alizé allait devenir Orange.
Mais quoi qu’il en soit Orange a aussi cherché à occuper l’espace en opérant un « rebranding » de ses agences, en posant ses enseignes chez les revendeurs (comme Tigo d’ailleurs), en disposant ses affiches sur toutes les artères centrales. Il semble finalement que la stratégie de Sonatel soit sensée puisque cela lui permet de régler au Sénégal, les problèmes de visibilité de la marque Alizé, de capitaliser sur l’image d’une marque mondiale en la faisant rejaillir sur Sentoo et sur keurgui TV. Cette marque orange est aussi un moyen de régler cette offre pléthorique en termes de communication qu’avait tendance à diffuser la Sonatel sans réelle cohérence. Bien sûr, le rebranding pose néanmoins quelques questions relatives aux redevances que Sonatel paie pour utiliser la marque Orange. Une réalité demeure cependant, c’est que la marque Orange est un capital de France Telecom qui elle-même l’a acheté la marque en Angleterre à une firme anglaise, puisque même sa marque Itineris (branche mobile)ainsi que Wanadoo (Internet) n’était pas bien gérée en France. Il est tout à fait logique qu’Alizé soit solidaire, puisqu’elle tire un bénéfice lié à l’image d’Orange. Les sénégalais ont beau défendre un esprit patriotique, mais France Telecom qui est actionnaire majoritaire impose ses points de vue puisque’on est dans une logique capitalistique guidée par un investissement dans lequel on s’attend à tirer des dividendes. Après tout France Telecom apporte une technologie, des process et une certaine expertise, et tout ceci a une contrepartie. On voit bien ce que sont devenues les sociétés publiques gérées par l’Etat sénégalais. Cette nouvelle marque Orange « a bien de la pêche » et vient régler et unifier l’image d’Orange au Sénégal.
Ce que l’on peut en définitive retenir sur ces deux opérateurs de télécommunications, c’est dans l’un comme dans l’autre cas, le rebranding s’est déroulée de la même manière, ce sont les méthodes pour y arriver qui sont juste un peu différentes (teasing suivi de révélation dans le cas de Tigo et révélation progressive & Sonatel, puis Orange). Les noms de marque utilisés dans les deux cas ne veulent rien dire, mais il suffit de mettre un contenu dans une marque pour qu’elle signifie quelque chose aux yeux du client et du public. Tigo est arrivé avec de petits prix et des jeux concours pour promouvoir ses offres, Orange joue aussi sur le même registre et promet des offres intégrées basées sur la convergence entre le mobile, internet, le cinéma, etc...) Pour l’instant toutes les deux marques ont l’avantage d’être visibles puisque basées sur la couleur, meilleur moyen pour marquer un territoire de communication, mais il reviendra au public de faire son choix et ce choix ne sera basé que sur de petits plus qui feront la différence. L’un des chantiers à conquérir sera, il semble la fiabilité du réseau qui demeure encore défaillant au grand dam du client qui payent des communications non consommées. Un autre aspect important c’est celui de la restauration de la confiance du client surtout par rapport aux produits sur lesquels il n’a aucune maîtrise (carte de recharge, débit internet, etc...)
Dans tous les cas, nous pouvons retenir que les entreprises dans leur grande majorité choisissent d’unifier leur marque en en faisant une seule et même marque lorsqu’elles ont une envergure mondiale. Elles tirent le bénéfice d’être connues partout sous le même nom, de maîtriser leur image, d’avoir presque les mêmes discours partout ainsi que les mêmes offres ( à quelques différences près). Cela est non seulement source d’efficacité mais aussi d’économie puisqu’on reproduit les mêmes opérations partout, opérations sur lesquelles on a une certaine maîtrise, une fois qu’on les a expérimentées. Ces quelques expériences d’entreprises (des multinationales) pour la plupart ayant changé de marques doivent servir d’exemple aux entreprises locales qui se voient progressivement contraintes d’engager une réflexion sérieuse sur leurs marques avant d’avoir le réflexe publicité. Ces dernières négligent tellement les aspects liés à leur marque plus importante que la publicité et rechignent à y investir alors qu’une marque forte est appelée à vivre 10 à 15 ans.