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26 janvier 2007

Afrique,en plein dans la mobile-économie


«Riche ou pauvre, le besoin de communiquer est identique. » Interrogés à quelques jours d’intervalle, l’un par le Financial Times, l’autre par le New York Times, Marten Pieters, directeur général de Celtel International, et Naguib Sawiris, PDG d’Orascom Telecom, ont eu la même réponse. Après avoir célébré la croissance spectaculaire de la téléphonie mobile en Afrique (hausse de 52 % en 2004 et 68 % en 2005), la presse internationale s’interroge aujourd’hui sur la viabilité économique de ce marché dans des pays où le pouvoir d’achat est six à quinze fois moins élevé qu’aux États-Unis ou en Europe
Celtel International compte 9 millions de clients dans quatorze pays, tous situés en Afrique subsaharienne. Orascom Telecom totalise 30 millions d’abonnés dans des pays comme l’Algérie, l’Égypte, la Tunisie ou encore le Pakistan, le Bangladesh et l’Irak.
Il est vrai que les taux de pénétration constatés sur le continent (voir infographie) n’atteindront jamais les standards occidentaux, désormais proches de 100 %. Même si tous les pays d’Afrique du Nord rejoignaient le niveau d’équipement de la Tunisie (60 %), et les pays d’Afrique subsaharienne celui du Botswana (40 %), le chiffre d’affaires d’un opérateur africain resterait toujours inférieur à celui d’un de ses confrères occidentaux. Fin 2005, la facturation mensuelle moyenne par abonné (ARPU, Average Revenue Per User) s’élevait à 35 dollars en Europe, contre 25 dollars en Algérie et 20 dollars en République démocratique du Congo. Sans compter que ces marchés sont récents et que, face au développement de la concurrence, l’ARPU devrait encore baisser de façon automatique.
À l’instar d’Orascom ou de Celtel, d’autres opérateurs comme les sud-africains MTN et Vodacom, ou le luxembourgeois Millicom International Cellular, se sont spécialisés sur ces territoires difficiles. Ils sont capables d’optimiser les coûts d’installation et d’exploitation de leurs réseaux pour maximiser leurs ventes malgré les faibles revenus de leurs clients. Comme le prix du téléphone est une composante importante de cette stratégie, l’association internationale GSM World, dont ils font partie, a lancé l’initiative « téléphone portable pour les marchés émergents ». C’est le constructeur Motorola qui a remporté le premier appel d’offres en février 2005 avec son modèle C113. En un an, il a enregistré 12 millions de commandes du modèle, un téléphone à moins de 30 dollars (tarif grand public, hors offres promotionnelles). De nombreux spécialistes des études de marché s’appuient sur la combinaison de ces baisses de coûts pour pronostiquer un marché de 60 millions d’abonnés au Nigeria à l’horizon 2010, près de 40 % de la population.
De nouveaux usages Depuis l’introduction du téléphone portable en Afrique dans le milieu des années 1990, les prévisions et commentaires optimistes s’accumulent sans que jamais la question des raisons de cet engouement n’ait été vraiment posée. De façon intuitive, tout le monde avance la même explication : il n’y avait pas suffisamment de téléphone fixe – ou il était trop cher – pour satisfaire le besoin de communiquer des populations. Le raisonnement est exact, mais incomplet. Il n’explique pas, en particulier, à quel point la greffe technologique a pris, conduisant les Africains – comme les autres – à multiplier de façon abusive les appels. Surtout avec le développement du « bipage » (du verbe « biper ») : celui qui n’a pas d’argent appelle la personne à qui il veut parler et laisse sonner une fois, le temps que son numéro et son nom s’affichent sur le mobile du correspondant. À charge pour ce dernier de rappeler, s’il le souhaite et s’il en a les moyens. Un des opérateurs kényans estime qu’environ 4 millions de « bipage » s’échangent chaque jour sur son réseau, et, en Tanzanie, c’est un véritable langage qui est né à base d’un, deux ou trois coups.
Les opérateurs savent jouer à merveille de cette coutume et multiplient les promotions. Le marocain Méditel a élaboré un forfait prépayé spécifique. L’algérien Mobilis a mis en place un code spécial pour éviter quelques manipulations : il suffit de composer le 606 suivi du numéro bipé. Le rappel est souvent effectué aux frais de l’employeur de la personne bipée, au point qu’un nombre croissant d’entreprises tentent de limiter les abus en demandant à l’opérateur auquel elles sont abonnées de bloquer les appels vers d’autres réseaux. Mais la parade a ses limites : bon nombre d’utilisateurs ont deux, voire trois, téléphones, et passent d’un réseau à l’autre suivant les endroits et les offres de tarifs avantageux ! En Afrique, comme partout ailleurs dans le monde, le cellulaire a multiplié et transformé les relations entre les individus. En quelques années, le téléphone mobile s’est démocratisé : il n’est plus qu’un simple signe extérieur de richesse – au même titre que la BMW, la carte American Express et les griffes de grand couturier – mais un objet intimement lié au déroulement de la vie, en particulier dans le domaine professionnel.
Créateur de richesses
En 2004, la Banque mondiale s’étonnait d’une statistique révélant qu’en Afrique subsaharienne chaque abonné dépensait en moyenne 27 dollars par mois pour son téléphone mobile (l’ARPU de l’époque), ce qui représentait la moitié du revenu annuel par habitant qu’elle avait elle-même établi (633 dollars par personne et par an). Ce rapport disproportionné – qui ne prend pas en compte l’importance de l’activité informelle – ferait presque oublier que le téléphone mobile a généré de nouveaux revenus dans un grand nombre de secteurs d’activité. En mars 2005, sous le titre The Impact of Mobile Phones in Africa, le groupe britannique Vodafone a publié une collection d’articles signés d’économistes reconnus, démontrant le lien entre l’accroissement du nombre d’abonnés au téléphone mobile et celui du PIB d’un pays africain (+ 0,6 % de PIB pour 10 % d’abonnés supplémentaires).
En février 2006, une publication de l’opérateur koweïtien Mobile Telecommunications Company (MTC) a largement confirmé cette hypothèse. S’appuyant sur une compilation de sondages menés par des organismes spécialisés dans les pays arabes, ce rapport révèle qu’en Égypte, par exemple, chaque emploi créé dans le secteur de la téléphonie mobile entraîne la création de huit autres postes dans différents secteurs de l’économie. Et le cas égyptien n’est pas unique. Ainsi, le groupe sénégalais Chaka s’est appuyé sur l’essor de la téléphonie mobile pour installer des centres d’appels en Afrique de l’Ouest. Sa filiale Call-Me Mali, créée en 2004 pour assurer le service clientèle d’Ikatel, deuxième opérateur du pays, employait 160 personnes deux ans plus tard. Une révolution sans doute plus importante se produit dans le secteur informel, où le téléphone mobile permet aux microentrepreneurs de multiplier leurs offres de service et, par conséquent, leur activité et sa rentabilité. Il en résulte, dans toutes les grandes villes, une véritable frénésie économique qui, s’il reste difficile d’en mesurer les conséquences, n’est certainement pas négligeable compte tenu du poids de l’informel dans les économies africaines. En 2005, Afristat, l’observatoire économique et statistique d’Afrique subsaharienne, dénombrait 2,7 millions d’emplois informels dans sept grandes villes ouest-africaines (Abidjan, Bamako, Cotonou, Dakar, Lomé, Niamey et Ouagadougou), représentant un chiffre d’affaires proche de 6 000 milliards de F CFA (9 milliards d’euros), soit l’équivalent de la somme des produits intérieurs bruts (PIB) du Sénégal et du Mali. Quand Marten Pieters ou Naguib Sawiris s’expriment dans la presse internationale, ils adoptent une position quelque peu défensive en rappelant simplement que les Africains ont tout autant le droit de téléphoner que les occidentaux. Et pour cause : il leur serait difficile de faire comprendre à quel point, dans ce domaine, le continent a réussi à prendre le train en marche.