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11 mai 2009

Faute de textes, les médias audiovisuels forcent, mais sont interdits


CONGO B


La création des médias audiovisuels privés au Congo, reste une vraie lutte pour les journalistes de ce pays d’Afrique centrale. En l’absence de textes d’application de la loi ayant libéralisé les médias, des opérateurs privés ouvrent les chaînes de radio ou de télévision, mais ils sont pratiquement interdits d’émission.


Roger Bouka Owoko, directeur exécutif de l’Observatoire congolais des droits de l’Homme, une organisation non gouvernementale (ONG) basée à Brazzaville, la capitale congolaise, demande au gouvernement de "vite publier ces textes, sinon, à quoi bon parler de la liberté de la presse ?", demande-t-il.


Aux abords du marché Poto-poto, un quartier du centre de Brazzaville, les bureaux au premier étage de l’immeuble abritant la chaîne de télévision privée Canal Plus bénédiction (CB Plus), sont toujours fermés. Le Conseil supérieur de la liberté de la communication (CSLC), l’institution officielle de régulation des médias, a coupé le signal de CB Plus le 12 février dernier pour « non-conformité à la loi ».


La loi a libéralisé tout le secteur de la communication en 2001. Mais pour l’audiovisuel, la loi dit que ce sont les textes d’application qui détermineront les conditions de création de radios et télévisions privées.


"La nature a horreur du vide. Si le législateur ne veut pas publier ces textes, les journalistes doivent passer en force", déclare à IPS, Christian Mounzéo, président de la Rencontre pour la paix et les droits de l’Homme, une ONG basée à Brazzaville.


« Dès qu’ils vont déposer leur cahier de charges, nous l’examinerons et si c’est bon, ils auront l’autorisation d’émettre. Et ceux qui veulent ouvrir les radios doivent faire de même », indique le président du CSLC, Jacques Banangadzala.


Les agents de CB Plus estiment que leur outil de travail a été fermé pour avoir diffusé de larges extraits de la Conférence nationale de 1991 sur l’assassinat, en 1977, de l’ancien président congolais Marien Ngouabi, et un reportage sur l’investiture du candidat de l’opposition à l’élection présidentielle prévue en juillet prochain, Mathias Dzon. Banangadzala a qualifié ces extraits de « violents ».


"Ce sont les prétextes du pouvoir. Les mêmes extraits de la Conférence nationale sont diffusés chaque fois par des chaînes privées proches du pouvoir. Au contraire, c’est l’histoire du pays, cela éduque", explique Edouard Adzotsa, secrétaire général de la Fédération syndicale des travailleurs de la communication.


« Nous attendons toujours une notification nous demandant de reprendre nos émissions », explique à IPS, Tendresse Nzila, un reporter à CB Plus.


C’est la deuxième télévision privée qui émet de Brazzaville. « Quelle est la différence avec la DRTV qui ne fonctionne qu’avec une simple autorisation du gouvernement et qui n’a pas de cahier de charges ? C’est le jeu du pouvoir qui veut étouffer la moindre liberté de la presse », dénonce Adzotsa. La Digitale radiotélévision (RDTV) est une chaîne privée créée par un général de l’armée congolaise.


Adzotsa ne cache pas sa déception vis-à-vis du CSLC. « Dès sa création, le CSLC a constitué un espoir pour les médias. Mais aujourd’hui, il chemine avec le pouvoir », déplore-t-il.

Si la presse écrite a vite pris son envol depuis que loi a libéralisé les médias au Congo, les médias audiovisuels restent quasi-inexistants dans le pays, faute de textes d’application de cette loi.


Pourtant, à l’occasion de la récente Journée de la liberté de la presse, célébrée le 3 mai, le ministre de la Communication, Alain Akouala Atipault, s’est réjoui d’affirmer que « la liberté de la presse et d’expression est effective au Congo », mais sans annoncer la publication des fameux textes d’application que les promoteurs et les journalistes des chaînes de radios et télévisions privées attendent depuis huit ans.


Impatients, certains opérateurs privés négocient des autorisations d’émission auprès du gouvernement ou de la Société congolaise des télécommunications, qui gère les fréquences du pays.


« Mais la réponse dépend de l’humeur de la personne qui vous reçoit, et de ce que vous proposez comme programmes », déclare Jean Moutadila-Mboko, un rare opérateur économique désireux d’investir dans l’audiovisuel. « Je sais que même les programmes religieux ne passent pas facilement. L’église catholique a dû attendre longtemps pour ouvrir sa radio (Radio Magnificat). Mais ce ne serait pas demain pour sa télévision, car elle (l’église) critique le gouvernement ».


Ces médias sont obligés de faire du « forcing » pour exister. « A Pointe-Noire, dans la capitale économique, on compte quelques chaînes de télévision qui disent différemment les choses. Mais leurs personnels font l’objet de menaces », explique à IPS, Raphaël Meya, un juriste basé à Brazzaville, rappelant qu’en 2008, un journaliste de "Télé pour tous", Christian Perrin, avait été interpellé par la police pour avoir reçu des opposants à une émission en février 2009.


De même, la directrice générale de CB Plus, Edith Ibourefet, a été interpellée par la police à la veille de la coupure des émissions de sa chaîne, en février 2009.

"Un Etat qui se respecte ne doit pas interpeller les journalistes qui ne font que leur travail", explique Bouka Owoko à IPS.


« Depuis janvier, j’ai déjà reçu dix plaintes des journalistes contre leurs employeurs et les services de police. Ces policiers, qui inquiètent les journalistes dans l’exercice de leur métier, font n’importe quoi pour plaire à l’autorité qui leur donne les galons », déclare Adzotsa.

"Il faut dire que les journalistes travaillent actuellement dans un contexte d’insécurité, car le politique n’apprécie pas certains commentaires. Il faut que les pouvoirs publics s’engagent plus à protéger les journalistes", recommande Mounzéo.


« Aujourd’hui, avec un cahiers de charges présenté au CLSC, on peut créer une radio, mais, on sait que tous ces médias privés sont illégaux », souligne Meya.


Une vingtaine de radios on été créées dans les départements au Congo. Ces radios sont dites « radios locales ou communautaires », ayant pour vocation principale de sensibiliser les populations sur les techniques agricoles, le rôle des pouvoirs publics, les actions du gouvernement.


« Il est assez rare de suivre un autre son de cloche sur ces chaînes. Comment alors investir dans un tel contexte ? », s’interroge Moutadila-Mboko.

Le syndicaliste Adzotsa affirme à IPS que « la plupart des radios et des télévisions, qui existent dans les départements, sont l’œuvre des hommes politiques favorables au pouvoir".


Du côté des partis politiques, l’opposition déclare que ses activités étaient constamment censurées par le gouvernement sur les médias publics. « Nous n’avons pas accès aux médias de l’Etat, et ceux qui nous apportent un appui (les médias qui leur ouvrent leurs colonnes et leurs émissions) sont persécutés », dénonce Guy Romain Kinfounsia, président du Front uni des partis de l’opposition. Il menace, dans la foulée, les journalistes fonctionnaires qui couvrent pourtant leurs activités, mais ne les diffusent pas.


« Nous assistons au retour de la grande censure dans le pays », martèle Adzotsa.

A l’orée de la prochaine élection présidentielle, le gouvernement et le CSLC multiplient les rencontres avec les journalistes pour ce qu’ils appellent une "couverture professionnelle" de ce scrutin. Peu de citoyens doutent de la bonne foi des autorités, selon des analystes.


Source : ipsinternational.org