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04 décembre 2006



La privatisation des télécoms, meilleure solution pour l’Afrique ?

La question de la privatisation des télécoms en Afrique n’est qu’un appendice du débat général concernant la mondialisation. A ce propos, les déboires de la Russie et des bourses d’Amérique latine devrait peut-être faire réfléchir les promoteurs des bourses africaines. Remarquons simplement que ce sont les petites gens qui en font les frais. Ceux qui avaient placé leurs économies dans les Bourses se trouvent d’un seul coup spoliés. Mais là n’est pas notre propos et revenons aux télécommunications. Il n’est pas inintéressant de considérer ce qui se passe en Europe, qui peut être un laboratoire pour les africains souhaitant évaluer les effets de l’arrivée de la privatisation et de la concurrence, même si bien sûr il existe des différences de taille.
L’argument de la baisse des prix
Ainsi, on assiste certes à une baisse des prix de certains services mais à quel prix ? Tous les dirigeants favorables aux privatisations se glosent des cet argument sur les prix. L’argument n’est recevable que si l’on considère les habitants d’un pays que comme des consommateurs. Or il se trouve qu’ils sont aussi des travailleurs et parfois même des chômeurs. Ce sont toujours là des considérations à courte vue propres aux tenants des thèses libérales. Car ces privatisations et baisses des prix produisent du chômage et des conditions de travail en déclin permanent. Non seulement pour ceux qui se trouvent au sein de ces entreprises au cours de la concurrence mais aussi par la multiplication de la sous-traitance et de la précarité. Pour ce qui est des télécoms cela mérite d’importantes précisions et ensuite avant toute chose de se poser la question de savoir si ces baisses ne pourraient intervenir dans une situation d’entreprise publique. En France, toujours, les prix ont commencé à baisser avant la privatisation, notamment les frais de raccordement. En réalité, les communications longues distances ont baissé au détriment des communications locales (on pouvait auparavant téléphoner dans son voisinage pour une durée illimitée) et même de l’abonnement qui vient encore d’augmenter.
Le rôle de l’Etat dans les télécommunications
Défendre le service public cela ne veut pas forcément dire défendre ses travers et le rôle négatif que l’Etat peut aussi jouer dans un contexte plus ou moins démocratique mais bien de considérer la question de façon dynamique en imaginant une autre forme de fonctionnement de l’Etat mais aussi et surtout un Etat qui prenne en compte les demandes nouvelles et montantes de citoyenneté différente. Nous pensons que les Télécoms constituent un service qu’un Etat doit à ses citoyens (on peut rajouter en toute égalité) au même titre que l’éducation, la santé, le transport en commun et la communication. Dans les pays occidentaux qui ont privatisé les premiers, l’Etat avait joué ce rôle il y a une vingtaine d’années. On peut rajouter que c’est un service particulièrement sensible pour ce qui de la maîtrise de son espace et la souveraineté nationale et qu’il devient très sensible en cas de conflit. En cela les télécoms plus que beaucoup d’autres services méritent d’être considérées en particulier et si tel est le cas il semble que l’Etat doit continuer à en garder la maîtrise en dehors du service même rendu aux citoyens. L’objectif d’une entreprise privée, chacun le sait est tout autre. Il s’agit de rétribuer ses actionnaires et de faire des bénéfices et des profits. Ceci peut aller jusqu’à contourner la légalité si nécessaire d’où le recours de plus en plus fréquent dans les affaires de concurrence aux tribunaux. A ce propos, que ceux qui se plaignent parfois des états bureaucratiques se penchent sur l’étonnant afflux de réglementation et de procédures en tout genre dans les pays où l’on a introduit la privatisation des télécoms et la concurrence, je pense à la France pays où je réside. Les entreprises à la recherche du profit sont par exemple prêtes à payer des pénalités parfois, plutôt que de répondre au cahier des charges s’il se trouve, et ça arrive évidemment, que cela soit plus rentable. Et lorsque l’Etat conserve le monopole des télécoms pour en toucher des subsides au détriment du service, il s’agit en quelque sorte d’un dégénérescence de l’Etat car tel n’est pas son objectif dans l’absolu. Cela peut et doit changer lorsque le pays se démocratise lorsque la citoyenneté et le contrôle des citoyens sur l’Etat prennent tout leur sens. Seul l’Etat est à même de promouvoir une politique nationale d’aménagement du territoire et de développement des infrastructures. De plus, la commission informatique et Liberté en France soulève depuis quelques temps de nouveaux problèmes en particulier ceux que pose l’acquisition de renseignements privés sur les personnes que permet Internet et le commerce qui peut en être fait sans que les personnes en question en soient informées. Ainsi, on retrouve le rôle de l’Etat de protecteur de la liberté individuelle qu’il est vrai, il ne jouait guère en Afrique.
Internet et l’école : l’exemple français
Je voudrais enfin signaler la perversité de l’introduction de la concurrence dans un secteur qu’il y a à peine une dizaine d’années, l’ensemble des économistes qualifiait de monopole naturel. Prenons l’exemple d’Internet à l’école. N’est-ce pas l’exemple type d’un service public ? Ainsi en France, courant mars, à la demande du ministère de l’Education, France Télécom fait une offre pour connecter les établissements scolaires à Internet. Tarif : 3200 FF TTC pour une durée de 380 heures par an pour 15 ordinateurs, raccordement et accès compris. L’offre est alors acceptée par le ministère mais dénoncée par l’ART, l’agence de régulation des télécommunications, et le Conseil Européen de la concurrence comme anticoncurrentielle. France Télécom vient donc de proposer une nouvelle offre. Nouveau tarif : 4890FF pour 15 ordinateurs et 380 heures par an, soit un surcoût de près de 50%. L’offre précédente permettait selon les commentateurs au ministère de l’Education Nationale de d’économiser plusieurs millions de francs. Résultat, pour les bienfaits de la concurrence, les contribuables vont donc être priés de mettre la main au portefeuille à moins que le projet ambitieux de l’éducation nationale ne soit revu à la baisse ! Nul doute que dans un avenir proche l’accès des écoles, en tout cas des lycées dans un premier temps à Internet sera un objectif aussi pour l’Afrique. D’ici là, le modèle imposé par l’occident, privatisation et concurrence dans les télécoms, à coup de chantage aux prêts du FMI aura atteint toute l’Afrique. Assisterons-nous, sous prétexte de faire vivre les concurrents de l’ancien monopole public à de telles surenchères ?
Les privatisations en Afrique : une orientation imposée de l’extérieure
Mais revenons à l’Afrique et à ses télécommunications. Tout d’abord signalons que s’il existe des situations catastrophiques comme au Cameroun ou au Congo du point de vue des télécoms il convient de dire que ce sont les entreprises de télécoms qui souvent fonctionnent le mieux dans nombre de pays africains. Ce n’est pas par hasard que ce soit celles qu’on privatise rapidement et aisément avec pourtant un véritable paradoxe. C’est que les entreprises étrangères qui en achètent des parts le font en bénéficiant du monopole pour encore plusieurs années. Bien entendu, France Télécom achetant des parts dans le capital de CI-TELCOM en Côte d’Ivoire ou de la SONATEL au Sénégal doit être vue dans ce pays comme une société privée. Dans quel contexte se font les privatisations en Afrique ? Dans un contexte où les leaders mondiaux des télécoms savent qu’il y aura beaucoup d’argent à gagner dans quelques années. Evidemment, les investissements au départ doivent être lourds, car les réseaux sont inexistants. Ajoutons que la plupart des entreprises les premières privatisées étaient en très bon état et largement bénéficiaire. Un cadre de la SONATEL (télécoms sénégalaises) rencontré récemment m’a expliqué qu’avant la privatisation toute récente, cette société n’était pas loin de l’objectif fixé par l’Union Internationale des Télécommunications qui consiste à faire en sorte que personne en se trouve à une distance supérieure à 5 km d’un téléphone. De plus dans la plupart de ces pays ces privatisations ne résultent pas d’un choix national mais de conditions mises en avant par le FMI ou la Banque Mondiale pour obtenir des prêts. Je l’ai entendu de vive voix de la part d’un DG m’exprimant clairement que ce n’était pas le choix du gouvernement mais qu’il ne pouvait en faire un cas d’affrontement dans des négociations avec les bailleurs de fonds.
Un peu d’histoire
Pour autant l’état actuel des télécoms est-il satisfaisant ? Quelques données historiques méritent cependant d’être rappelées pour en apprécier la réalité d’aujourd’hui. Pour ce qui est de la zone francophone, les pays africains indépendants se sont trouvés aux lendemains de l’indépendance avec la situation suivante. Une société sans moyen était créée en charge du réseau national, avec une coopération de substitution (on envoie des cadres pour occuper les postes-clés sans se soucier de préparer leur remplacement par des cadres nationaux ce qui nécessite un transfert des compétences). D’autre part une société était créée pour gérer les télécommunications internationales, souvent dominée par France Câbles et Radios, devenue une filiale à 100% de France Télécom qui géraient les communications internationales et qui seules généraient des profits. Ce n’est pas tout. Pratiquement, toutes les communications internationales devaient passer par la France ce qui en rendait les coûts prohibitifs mais en plus tendaient à générer une forte dette qui fait souvent partie aujourd’hui des négociations lors de la reprise de ces sociétés. Un cas flagrant a éclaté il y a quelques temps au Cameroun où FCR voulait obtenir une part du capital contre l’annulation de la dette ce qui a entraîné une forte campagne de presse. Le projet a d’ailleurs dû être retiré. Ceci explique en partie pourquoi les télécoms sont dans un tel état. Ajoutons que les projets panafricains comme PANAFTEL (un faisceau qui traverse l’Afrique), finalement soutenu par le Canada, et RASCOM qui semble enfin voir le jour mais qui date de plus de 10 ans, n’ont jamais reçu l’aval de la France. Aujourd’hui la donne change, car les américains font mine de s’intéresser à l’Afrique.
Déréglementation : de nouveaux dangers
La déréglementation voit apparaître d’autre danger. C’est ainsi que le premier réseau satellitaire Iridium qui ouvrira très prochainement a été conçu pour fonctionner sans que soit nécessaire le développement de l’infrastructure locale puisque la commutation peut se faire dans les satellites pour toucher directement les abonnés. Le risque est grand qu’ils captent les consommateurs les plus riches et privent ainsi les opérateurs locaux de ses meilleurs clients. Ajoutons que ces réseaux satellitaires sont des consortiums regroupant des dizaines d’opérateurs dont certains se portent acquéreur des opérateurs que l’on privatise. Feront-ils le choix d’investir encore dans le pays pour développer le réseau local alors qu’ils ont déjà lourdement investi dans ces méga opérateurs par satellite ? On entend aussi ici ou là déclarer que les privatisations entraînent une diminution de la corruption, celle-ci provenant essentiellement de la trop grande place de l’Etat. Mais qu’en est-il des organismes de contrôle de l’utilisation des sommes énormes recueillies par l’Etat dans la période actuelle de privatisation tout azimut ? La mise en place d’organisme de régulation chargée de statuer en cas de conflit ne constitue-t-elle pas l’exemple type d’institution générant des tentatives de corruption ? A-t-on exploré les solutions alternatives ? Bien sûr pour clore le débat, on peut se demander si la privatisation n’est pas la moins mauvaise des solutions et s’il n’y en a pas d’autre. Ou plutôt les télécoms peuvent-elles se développer tout en restant dans le domaine public. Notre réponse est oui et déjà la transformation des offices en entreprises publiques a amené des améliorations. La productivité et la vitesse de réalisation des projets peuvent augmenter. Mais elles ne découlent pas toujours des lenteurs internes aux entreprises des télécommunications africaines. Il y a parfois des discussions interminables entre les bailleurs de fonds et les responsables des entreprises nationales des télécoms car les premiers pensent que les solutions proposées par les deuxièmes ne sont pas forcément les meilleurs et se croient obligés d’imposer les leurs.. Il y a bien sur aussi la motivation des salariés à améliorer. Mais là, notre expérience parle, nous pouvons dire qu’il y a des gens qualifiés compétents et motivés dans ces entreprises sur lesquels on pourrait s’appuyer. Autre paradoxe, on commence à voir dans les journaux ces entreprises attaquées par des consommateurs et nul doute que c’est un des effets bénéfiques de la libéralisation et que si on laissait le temps agir elles auraient des effets très bénéfiques sur la qualité du travail des salariés de ces entreprises.