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07 mars 2007

Interview M. Hemos Kablan, SG du CTCI : "La concurrence va faire disparaître des opérateurs"

Trop de concurrence tue la concurrence, soutient le SG du conseil des télécommunications de Côte d'Ivoire (CTCI). Les conséquences peuvent être graves pour le secteur.

Quel est l'état des lieux dans le domaine des télécommunications ?
En 1995 le contexte international exigeait une restructuration des télécommunications. Il fallait développer les télécommunications en s'appuyant sur des capitaux extérieurs. En Côte d'Ivoire, cela a débuté par la privatisation de Côte d'Ivoire Télécom qui est notre réseau national et par la libéralisation du secteur radio électrique c'est-à-dire la téléphonie mobile. Il a été donc mis en place le code 95-526 régissant les télécommunications. Ce code a pour but de restructurer les activités d'abord en trois régimes qui sont le juridique à travers l'aspect concession, le régime d'autorisation ou réglementé et celui de la concurrence libre. C'est pour faire fonctionner ces régimes que la loi a créé deux structures que sont le CTCI et l'ATCI qui ont chacune des missions bien différentes.
Le code des télécommunications de 1995 n'est-il pas caduc aujourd'hui ?
C'est vrai, ce code est caduc. On commence à faire venir d'autres opérateurs alors que l'opérateur existant est Côte d'Ivoire télécom. Il avait déjà un réseau de télécommunications, des services qu'il fournissait. Que va-t-il se passer si des dispositions ne sont pas prises ? Cette société va croire qu'elle a le monopole sur tout. Le code de 95 considérait Côte d'Ivoire Télécom comme le seul opérateur significatif et s'adressait à elle pour toutes les demandes qui seraient introduites par d'autres opérateurs. Aujourd'hui, nous sommes à la fin du monopole et l'Etat va dire maintenant qu'il est possible de permettre à d'autres opérateurs de travailler dans le réseau filaire. On a une libéralisation totale du secteur, donc Côte d'Ivoire Télécom ne sera plus le seul opérateur puissant, il y en aura plusieurs tels que MTN, ORANGE. Donc on ne peut pas imposer à Côte d'Ivoire Télécom, à elle seule, des obligations, elles doivent être imposées à tous les opérateurs.

Quelles sont les dispositions du nouveau code qui ne rencontrent pas votre assentiment ?
Ce que je décrie, c'est le fait que ce code veut réduire le nombre de structures régulatrices à une seule alors que le nombre d'opérateurs augmente, la concurrence sera de plus en plus rude. A travers le monde entier, les gens saluent l'existence en Côte d'Ivoire d'organes de régulation parce qu'il faut éviter d'être juge et partie. Le politique ne doit pas s'ingérer dans le règlement des litiges. Moi, je suis pour la création de deux structures de régulation, une pour la délivrance d'agrément et une autre pour le règlement des litiges. Sinon je suis d'accord pour le nouveau code dans tous ses autres aspects.

Mais qu'est-ce qui bloque l'application de ce nouveau code des télécommunications?
Peut-être que c'est l'effet de guerre, donc ce n'est pas une préoccupation majeure pour le gouvernement. C'est sûrement après la guerre que le gouvernement va mieux comprendre les problèmes du secteur pour doter le pays d'un nouveau code qui est d'ailleurs fin prêt.

Le fait qu'il y ait de nombreux opérateurs ne favorise-t-il pas la saturation du marché ?
En matière de régulation, il est dit dans notre jargon que trop de concurrence tue la concurrence. Le marché ivoirien est un petit marché, ce n'est pas parce que l'Ivoirien a adopté le téléphone cellulaire qu'on va se permettre de croire que le marché est rentable et donner des autorisations n'importe comment. De toutes les façons, tous les opérateurs ne pourront pas fonctionner dans le secteur. On a déjà vu ce qui s'est passé ailleurs. Lorsque vous créez une concurrence accrue, les opérateurs meurent comme ils sont venus. Et généralement des alliances se tissent et au lieu de favoriser l'épanouissement du secteur, on crée un secteur monopolistique sans se rendre compte.

Il y a plusieurs opérateurs, mais on constate que les coûts de communication baissent difficilement. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Il faut savoir que le tarif fait par Côte d'Ivoire Télécom est réglementé. Dans le régime de concurrence pour les mobiles, les opérateurs sont libres de fixer leurs tarifs. Deux composantes rentrent dans ce cadre, à savoir l'interconnexion et les prestations des opérateurs. Le régulateur joue uniquement sur les tarifs de l'interconnexion. Ce qui va jouer sur les tarifs de communication, c'est une concurrence qui sera mise en place. L'élément justificatif que le pouvoir a donné aux opérateurs pour ne pas modifier leurs tarifs, c'est le coût de la licence parce que c'est quelque chose qui n'existait pas. Les opérateurs n'ont pas payé la totalité des 40 milliards FCFA ils se fondent sur ça pour ne pas baisser leurs tarifs et ce sont les contribuables qui en pâtissent. Il a fallu maintenant l'arrivée de Moov, mais peu importe s'il paie les 40 milliards FCFA. Cependant, cette société a choisi d'entrer dans un marché existant en faisant tomber les coûts de communication, les autres ont été obligés de s'aligner sur cette politique commerciale du nouvel opérateur. Aussi, l'arrivée d'autres opérateurs qui sont annoncés va-t-elle contribuer à une baisse incontournable. Je crois par ailleurs qu'il faut que le régulateur ait le pouvoir de jouer sur les tarifs des opérateurs soumis à la concurrence libre.

Combien de litiges, le CTCI a-t-il résolu et dans quelles conditions ?
Nous avons réglé le premier litige d'interconnexion en 1996 permettant aux opérateurs de s'interconnecter, il y a eu aussi le problème de Publicom où Côte d'Ivoire Télécom affirmait avoir le monopole de la publiphonie. Nous avons dit non à cela parce que la téléphonie tombait dans le domaine de la concurrence libre en 1997. De cette année à aujourd'hui, 29 litiges ont été résolus par le CTCI, dont 9 portant sur l'interconnexion parmi lesquels 7 décisions prises par notre structure ont été appliquées.

Disposez-vous de moyens de coercition pour faire appliquer vos décisions d'arbitrage dans le cadre des règlements de litiges ?
Nous avons remarqué que compte tenu de notre manque de pouvoir exécutoire à partir des textes, quand ça arrange un opérateur, il applique nos décisions et quand elles lui sont défavorables, il refuse de les appliquer. Affirmant que nos décisions ne sont pas exécutoires. Maintenant, nous allons utiliser la conciliation et cela marche bien. Il y a aussi la nouvelle loi qui veut un seul régulateur qui a prévu des pouvoirs renforcés pour cet organe unique afin de rendre ses décisions exécutoires.