Ouvrir un espace d'information et de veille stratégique en Afrique sur les télécommunications et les TICs. Promouvoir les échanges entre les acteurs qui s’intéressent à la convergence, le droit, l’économie, la veille concurrentielle, les réseaux, la stratégie des opérateurs et l'intelligence économique en télécommunications et TIC. Echanger et s'informer pour suivre l'évolution des communications électroniques qui sans cesse subissent la vitesse du changement.

26 janvier 2007

La parole du peuple



La fracture numérique est un thème dépassé. Mais toujours à l’ordre du jour. Elle suscite encore nombre de conférences internationales, dont la plus importante sera le Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), prévu en novembre 2005 à Tunis, sous l’égide des Nations unies. En ces occasions, décideurs économiques et politiques affichent leur volonté de combler le fossé entre pays riches et pays en développement, mais ils trouvent rarement de solution financière pour résoudre le problème il y a cependant des avancées. Et chaque pas conduit à une Afrique aujourd’hui largement raccordée au reste du monde. Une cinquantaine de satellites de télécommunications l’ont en ligne de mire, en direct comme Eutelsat W3 (le seul à couvrir l’ensemble du continent), ou par zones géographiques, le Nord et le Sud étant généralement privilégiés. En outre, les pays côtiers peuvent avoir accès à un réseau de câbles sous-marins à fibres optiques à forte capacité, qui relie l’Europe à l’Asie et fait le tour du continent.
En résumé, les « tuyaux » existent. Il reste à les alimenter en contenu made in Africa. Et, là, force est de constater que le sous-équipement est encore patent. Les entreprises modernes sont si peu nombreuses que les opérateurs rechignent à investir et à développer des infrastructures conséquentes. De l’autre côté, les PME et les particuliers ne sont guère consommateurs d’Internet, tant par méconnaissance de l’outil que par manque de moyens. En moyenne, 1 Africain sur 130 dispose d’un ordinateur personnel. À l’heure où la libéralisation du secteur est quasi générale, la règle est simple : si la demande est limitée, l’offre l’est aussi. Cette dernière est d’autant plus restreinte que, par le passé, les opérateurs historiques ne se sont pas distingués par leur avant-gardisme, eux qui n’ont fait aucun effort pour faciliter l’accès au réseau téléphonique, alors qu’ils en avaient l’exclusivité, et le devoir, dans le cadre de leur mission de service public. Trois exceptions méritent d’être citées : l’Afrique du Sud, compte tenu de son niveau de développement économique, la Tunisie, et, dans une moindre mesure, le Sénégal, pour leurs efforts en faveur de la desserte des zones rurales.
Curieusement, le téléphone mobile, par ailleurs tout autant numérique, n’intéresse pas les instances interna­tionales. Sa réussite spectaculaire constitue pourtant une success-story inattendue dont bien des responsables devraient s’inspirer. La multiplication des statistiques témoigne que les cabinets d’études de marché s’intéressent de près à l’une des trois zones du monde où la croissance est le plus forte, aux côtés de l’Asie et de l’Amérique latine. Les projections sont promptes à tourner les têtes : il y avait 76,5 millions d’Africains abonnés au cellulaire en 2004 (+ 47 % en un an) ; ils devraient être 96 millions en 2006 et pourraient être 314 millions à la fin 2010 (+ 310 % en six ans). Soit environ une personne sur trois. Ce score paraît tellement inédit pour ce qui reste la région la plus pauvre de la planète que certains esprits chagrins le jugent encore irréaliste.
Des groupes comme le néerlandais Celtel, le franco-britannique Orange, l’égyptien Orascom, le luxembourgeois Millicom ou encore les sud-africains Vodacom et MTN pensent le contraire. Ce sont eux qui sont partis à la conquête de ces millions de clients. Pour y parvenir, ils investissent, tout comme d’autres le font dans les pays riches. Ils utilisent des arguments commerciaux similaires : forfaits, cartes de rechargement et vente de l’appareil à prix cassé. Certes, leurs équations économiques sont différentes. Celtel, présent dans treize pays d’Afrique subsaharienne où il totalise 5 millions de clients, déclare par exemple un chiffre d’affaires moyen de 18 euros par abonné et par mois. Il est de 20 euros pour Vodacom, en Afrique du Sud (14,4 millions d’abonnés), et de 8,60 euros pour Maroc Télécom (6,4 millions). C’est bien peu en regard des 38 euros d’Orange au Royaume-Uni, même si les coûts d’exploitation sont moins élevés en Afrique. Cela n’empêche pas les opérateurs africains d’afficher des résultats financiers significatifs et constitue pour chacun d’eux une raison supplémentaire de vouloir élargir son marché. Objectif que tous comptent atteindre en poursuivant les investissements, pour couvrir une plus large part de la population, et en développant de nouveaux services pour fidéliser leurs clients et améliorer leurs marges.
Plusieurs de ces services n’ont pas d’équivalent ailleurs. Certaines options de roaming (possibilité d’effectuer des appels à l’étranger) répondent à des situations spécifiques. Ainsi, Celtel applique son tarif local entre les capitales des deux Congos, séparées par le fleuve. Telecel offre ce même avantage dans les six pays d’Afrique francophone où il est présent. Tous les opérateurs ont conçu un service de partage d’un même téléphone par les membres d’une famille ou d’une communauté rurale, avec des messageries séparées. Les solutions fax se multiplient, tout comme les services bancaires. Celtel a expérimenté en Zambie un paiement sécurisé et quasi immédiat à partir des téléphones mobiles. Ailleurs, des cartes téléphoniques prépayées permettent le transfert d’argent avec des frais moins élevés que dans une banque. De nombreuses solutions à base de SMS sont utilisées par les agriculteurs ou les pêcheurs (météo et prix des matières premières) ou par les particuliers. En Afrique du Nord apparaissent les premiers messages multimédias, les MMS, en même temps que le téléchargement de logos ou de sonneries et les votes par téléphone pour des émissions de télévision.
Séduit, le consommateur est également gagnant. Même si les tarifs de communication sont élevés en regard du niveau de vie, ils ont baissé singulièrement. Au Burkina, par exemple, la minute avec la France coûtait 1 100 F CFA (1,7 e) en 2000 ; 500 F CFA aujourd’hui. Téléphoner dans un pays voisin, ce qui coûtait auparavant presque aussi cher, puisque la communication transitait par Paris, revient à 250 F CFA la minute (150 F CFA en local). La multiplication des échanges est évidemment génératrice d’un regain d’activité économique, qui reste cependant difficilement mesurable car, assez souvent, il est du ressort du secteur informel. Là réside sans doute le manque d’intérêt des élites intellectuelles pour le succès du téléphone mobile en Afrique : la réduction de la fracture numérique relève trop de la médecine traditionnelle.