Thierno Mohamadou Baba LY, directeur juridique de l'Artp : ‘Pourquoi nous avons mis sous scellés les équipements de la Première Fm'
Wal Fadjri : L'Artp a procédé hier à la mise sous scellés des équipements radio électriques de la radio Première Fm 92.3 qui vient de naître. Qu'est-ce qui a motivé cette décision ? Thierno Mohamadou Ly : Il s'agit, en vérité, de la fréquence 92.3 qui avait été assignée à une société qui s'appelle Iso Trading Technology administrée par Mohamadou Bachir Diallo pour sa radio commerciale dénommée Xew Xew Fm. Il se trouve que par la suite, nous avons constaté, en février 2007, que cette société avait déplacé l'antenne de son lieu d'implantation, à la Patte d'Oie Builders, à Yoff. Lorsque nous nous y sommes rendus, nous avons constaté une publicité qui faisait savoir que la fréquence était utilisée par une radio dénommé Première Fm. Nous avons demandé à M. Diallo de retourner l'antenne à son lieu initial et, en même temps, nous lui avons rappelé que cette fréquence avait été attribuée à Xew Xew Fm. Après moult conciliabules, ce dernier a accepté. A notre grande surprise, nous avons appris, à travers la presse, que M. Madiambal Diagne utilisait la fréquence 92.3 pour l'exploitation d'une radio dénommée Première Fm. D'ailleurs, c'est très récemment que ce dernier a adressé une correspondance à l'Artp pour lui faire comprendre le changement de statut juridique de la société Iso Trading. Et sans attendre une réponse de notre part, il a démarré ses émissions. C'est ainsi qu'une équipe de l'Artp s'est rendue sur place et a relevé deux manquements. D'abord, la station qui émettait, utilisait une liaison déport entre la Patte d'Oie où se trouve l'antenne et le studio qui est à Yoff, sans autorisation de l'Artp. Ensuite, les équipements radio électriques trouvés sur place n'ont pas été agréés par l'Artp. Sur cette base, le directeur général de l'Artp, se fondant sur le décret n° 2003-64 du 17 février 2003 relatif aux fréquences, a notifié aux responsables d'Iso Trading la suspension de l'autorisation d'utilisation de fréquence pour une durée de 45 jours, en lui précisant qu'au terme de ce délai et en cas de non régularisation, l'Artp prononcera une révocation de l'autorisation. Sur la base de cette notification, l'Artp a requis l'assistance des forces de l'ordre, comme l'y autorise la loi, pour procéder à la mise sous scellé des équipements de cette radio. Wal Fadjri : Par ailleurs, l'Artp avait arrêté un nouveau plan de numérotation téléphonique qui devrait entrer en vigueur le 1er juillet prochain. L'échéancier sera-t-il respecté ? Thierno Mohamadou Ly : Il faut d'abord rappeler que le plan de numérotation actuel avait été élaboré par la Sonatel qui, à l'époque, était l'opérateur chargé non seulement de gérer le plan de numérotation nationale, mais aussi le plan national des services. Avec l'avènement de l'Artp, ces missions sont désormais dévolues à l'agence. Nous avons constaté, et les opérateurs avec nous, que ce plan à sept chiffres est saturé et que, d'ici la fin de l'année, si on ne prend pas de dispositions pour le changer, nous aurons des problèmes de ressources en numérotation parce que les abonnés de téléphonie mobile augmentent de manière importante. Initialement, on avait prévu que le basculement aurait lieu en juillet mais par la suite, en relation avec les opérateurs, du fait qu'il y a des logiciels à créer et des équipements à acquérir, on est arrivé à la conclusion que le délai ne pouvait plus être respecté. Ce qui est finalement retenu, c'est que le nouveau plan de numérotation sera opérationnel à partir du 7 octobre 2007. Wal Fadjri : Votre agence a maintenant cinq ans d'existence. Quel bilan tirez-vous de ces cinq ans ? Thierno Mohamadou Ly : L'agence est relativement jeune. Cinq ans, ce n'est pas beaucoup. L'Artp a été créée en 2001 pour ne démarrer qu'en mars 2002 alors que dans des pays comme la Côte d'Ivoire, le Mali, existait déjà une agence de régulation. En terme d'acquis, nous pouvons évoquer le dispositif législatif et réglementaire mis en place. C'est très important parce qu'aujourd'hui, nous disposons de l'ensemble des textes législatifs qui nous permettent d'assurer la régularisation des télécommunications. C'était la première chose à faire. Le deuxième aspect, c'est la mise en place des outils de la régulation. Il fallait faire en sorte qu'on ait une étude sur le secteur des télécoms au Sénégal pour voir comment il est constitué et comment il évolue. C'est un ensemble de leviers que nous allons pouvoir utiliser pour faire en sorte que la libéralisation puisse se faire de manière beaucoup plus ouverte au Sénégal. En outre, l'Artp a entrepris un important programme d'acquisition des équipements techniques nécessaires pour assurer une meilleure allocation des ressources en fréquences aux opérateurs ; ces équipements permettront également un meilleur contrôle des brouillages et interférences ainsi que la qualité de service des réseaux. Il s'agit d'équipements lourds composés de logiciels, d'appareils de mesures ainsi que de véhicules équipés qui vont être réceptionnés au courant du mois de juin et qui ont été acquis grâce à un financement sur fonds propres et sur fonds de la Banque mondiale. Ces équipements permettront de mettre en place le Sigaf, à savoir le Système intégré de gestion automatisée des fréquences. Il y a, enfin, un autre aspect non moins important, ce sont les ressources humaines. A ce niveau, beaucoup d'efforts ont été faits, car nous sommes dans un secteur qui est celui de pointe où il y a une évolution fulgurante, non seulement des Tic mais aussi du marché. Il faut donc avoir des compétences assez pointues pour cela. Consciente de cela, l'Artp a beaucoup investi sur les ressources humaines en formant des jeunes. Ce qui lui a permis d'avoir, aujourd'hui, des experts dans tous les domaines. Sur les plans juridique, économique et technique, nous avons des cadres qui sont en mesure d'assurer la régulation et cela est attesté par le leadership que l'Artp a sur le plan africain. Non seulement, le directeur de l'Artp est le président de l'Association des régulateurs de l'Afrique de l'Ouest, mais aussi nos experts sont sollicités un peu partout dans le monde, notamment par l'Uit, pour assurer des séminaires de formation. Il nous arrive d'aller dans des pays africains comme au Burundi, en Centrafrique pour partager l'expérience sénégalaise en matière de régulation. Tous ces instruments étaient indispensables pour assurer la bonne régularisation du secteur. Au regard de tout ce qui précède, nous pouvons dire qu'en cinq ans d'existence, l'Artp a un bilan positif. Wal Fadjri : Mais quelles sont les contraintes liées à l'exercice de votre mission ? Thierno Mohamadou Ly : Les contraintes, il y en a et elles sont nombreuses. La première, c'est que nous régulons un secteur qui n'est pas fortement concurrentiel, et c'est une grande contrainte. Il est plus facile de réguler un marché concurrentiel où vous avez plusieurs acteurs qu'un marché où il y a un duopole. Là, les litiges sont plus importants. La deuxième contrainte est que nous avons hérité d'une situation où tous les opérateurs ont eu des licences avant la création de l'Artp, avec des conventions et concessions qui ne sont pas toujours en adéquation avec les nouvelles réalités juridiques et du marché actuel. Cela amène souvent l'Artp à voir comment concilier le Code des télécommunications et les conventions et les cahiers de charges qui ont été signés avant sa naissance. Wal Fadjri : Quels sont les avantages de la régulation qui semble être un nouveau mode de gouvernance ? Thierno Mohamadou Ly : La régulation a d'abord commencé dans les pays anglo-saxons, notamment aux Etats-Unis où les autorités ont très vite compris que, dans les secteurs en réseau, il fallait un organe indépendant du pouvoir politique pour assurer la transparence du marché. Dans les pays de tradition juridique française, la régulation est venue un peu plus tard. Dans nos pays où c'est le monopole qui domine, la régulation permet aux nouveaux opérateurs qui arrivent de trouver leur place. C'est l'instance de régulation qui veille également au respect des intérêts des consommateurs. Voilà autant d'avantages qu'offre la régulation. Wal Fadjri : La Journée mondiale des télécommunications célébrée cette semaine avait pour thème ‘Connecter les jeunes'. Quelle en est la signification ? Thierno Mohamadou Ly : La journée mondiale des télécommunications est célébrée, chaque année, à l'initiative de l'Union internationale des télécommunications (Uit). Cette année, nous avons retardé la célébration de cette journée (elle est célébrée habituellement le 17 mai de chaque année : Ndlr) à cause de la fête de l'Ascension. Depuis la création de l'Agence de régulation des télécommunications et des postes (Artp), cette journée est systématiquement célébrée dans notre pays en relation avec l'ensemble des acteurs, notamment les opérateurs, l'Ecole nationale des télécommunications du Sénégal, le ministère de tutelle. Concernant le thème retenu cette année par l'Uit, il est très important et recoupe d'ailleurs la vision de l'Artp qui est de faire du Sénégal, un pôle d'excellence dans les Technologies de l'information et de la communication (Tic), au profit du citoyen. Et comme la frange la plus dynamique de la population, ce sont les jeunes, c'est là une occasion de mettre à la disposition de ces derniers les opportunités qu'offrent les Tic en vue de les permettre d'entrer dans le monde moderne. Dans le cadre de cette journée, nous allons davantage expliquer aux jeunes les immenses possibilités offertes par ces nouvelles technologies et les inviter à aller dans le sens de l'histoire. Par rapport aux activités, il y aura un certain nombre de conférences qui seront animées par des opérateurs, des experts de l'Artp et des personnes ressources. Wal Fadjri : Au Sénégal, la fracture numérique est réelle. Que compte faire l'Artp pour que les jeunes ruraux aient les mêmes opportunités que ceux des centres urbains en matière des Tic ? Thierno Mohamadou Ly : Le fossé numérique est un phénomène mondial. D'abord, il y a le fossé entre les pays développés et les pays sous-développés. Mais ce qui est encore plus grave, vous l'avez dit, il y a une fracture entre les villes et les campagnes, autrement dit entre les nantis et les non nantis. Aujourd'hui, il y a un programme que l'on appelle le Développement du service universel de télécommunication qui est d'ailleurs prévu par le Code des télécommunications et qui relève de notre charge. L'Artp a ainsi pour mission de développer l'accès des télécommunications pour l'ensemble des citoyens, sur l'ensemble du territoire national. Il est vrai que les zones qui ne sont pas rentables, seront négligées par les opérateurs. Il revient, dès lors, à l'Etat et à l'Artp de faire en sorte que les services de télécommunication soient disponibles partout au Sénégal et pour tout le monde. Nous irons même plus loin en veillant à ce que la qualité accompagne cette offre. Egalement que le contenu réponde à leurs préoccupations, ainsi ils pourront bénéficier du télé enseignement, la télé éducation et du commerce électronique. C'est donc un package qui sera fait pour développer les Tic partout au Sénégal. Ce qu'on regrettait jusque-là, c'était l'absence d'un décret qui organise cela. Or, ce décret vient d'être signé et sera bientôt publié. Ce qui nous permettra de disposer de tous les outils pour mettre en œuvre le programme universel d'accès aux télécommunications. Wal Fadjri : La téléphonie rurale est très peu développée au Sénégal. Que fait l'Artp pour pallier ce déficit ? Thierno Mohamadou Ly : Comme je l'ai évoqué tantôt, il est difficile de faire investir un opérateur dans une zone qui n'est pas rentable. Et c'est normal puisqu'il est là pour faire des bénéfices. N'oubliez pas que faire des profits est la raison d'être des opérateurs. Mais, en face de cette réalité, il y a nécessité de faire en sorte que le téléphone et, de manière générale, les services de télécommunication soient accessibles à l'ensemble des citoyens. Cette obligation est la raison d'être du Service universel des télécommunications. Le décret vient d'être signé et s'il est publié, nous allons mettre en place ce qu'on appelle un Fonds de développement des services universels des télécommunication qui permettra, avec la contribution des opérateurs, de l'Artp, de l'Etat, de la Banque mondiale et même des collectivités locales, de rendre disponibles, partout au Sénégal, les services de télécommunication, y compris dans les zones dites non rentables. Dans ce cadre, d'ailleurs, sur financement de la Banque mondiale, nous avons mis en place un projet pilote d'accès universel, c'est le projet pilote de Matam. Dans cette région, bientôt un appel d'offres sera lancé pour qu'il y ait un opérateur de service universel. Wal Fadjri : On note un boom des télécommunications dans le monde. Au Sénégal, quelle part celles-ci contribuent-elles dans l'économie ? Thierno Mohamadou Ly : La part des télécoms dans l'économie de notre pays est de l'ordre de 8 %. Ce qui n'est pas négligeable. C'est le secteur, d'ailleurs, qui croît le plus au Sénégal. Wal Fadjri : Le 26 janvier dernier, l'Artp a eu à infliger une sanction contre la Sonatel suite à des dysfonctionnements notés dans son réseau. Qu'en est-il de cette sanction ? Thierno Mohamadou Ly : C'est vrai que l'Artp a infligé une sanction à la Sonatel. C'était une première, mais c'est dans l'ordre normal des choses, si je puis dire. Partout, dans le monde, les régulateurs ont un rôle de sanction si les opérateurs ne respectent pas les obligations qui sont à leurs charges, au regard de la loi et de la réglementation en vigueur. Au Sénégal, c'est la première fois que ça arrive. A partir du moment où nous avons constaté, après plusieurs demandes d'explications, de mises en demeure, qu'une situation perdure, nous avons été obligés d'aller vers une sanction. La Sonatel, usant de son droit de recours, a fait appel et, au moment où nous parlons, l'affaire est pendante devant la justice qui doit trancher. Et vous comprendrez que je ne peux pas dire plus que ça. Wal Fadjri : Le 16 avril 2007, l'on a noté, de nouveau, dans le réseau de la Sonatel, à Dakar, des dysfonctionnements ayant causé des préjudices à ses abonnés. Pourquoi l'Artp n'a pas sévi ? Thierno Mohamadou Ly : L'Artp n'a pas sévi parce qu'il y a toute une procédure à respecter. Ce que nous avons fait, lorsqu'il y a eu effectivement des perturbations prolongées, le 16 avril dernier, nous avons demandé des explications à la Sonatel. Il y a eu une première réaction de la Sonatel, assez lapidaire du reste. Après quoi, nous avons demandé un rapport technique complet, une réponse nous a été fournie et que nous n'avions pas jugée satisfaisante. Et aujourd'hui, nous attendons de la Sonatel un rapport plus circonstancié pour apprécier. Nous ne pouvons pas tout d'un coup sanctionner un opérateur sans lui avoir demandé des explications claires. Wal Fadjri :.Quelles sont les mesures coercitives dont dispose l'Artp pour faire aboutir ses sanctions ? Thierno Mohamadou Ly : Concernant la Sonatel, il ne saurait y avoir de mesures coercitives puisque cette société a fait un recours devant le Conseil d'Etat. Je précise que l'Artp ne peut que sanctionner ; le recouvrement des amendes n'est pas de son ressort, c'est l'Etat, par le biais du ministère des Finances, qui en a la charge. Wal Fadjri : La Poste s'était plainte d'une concurrence déloyale de la part de Flash, spécialisée dans la distribution du courrier. Quelle suite a été réservée à cette plainte ? Thierno Mohamadou Ly : Nous venons seulement de prendre en charge la régulation postale et nous avons trouvé une situation dans laquelle La Poste était elle-même seule à agréer les opérateurs postaux privés. Aujourd'hui, c'est l'Artp qui doit le faire. Il y a une période transitoire pendant laquelle, nous avons même une situation où il y a même des opérateurs qui n'avaient pas de licence délivrée par La Poste. Et ce que nous avons fait, c'est de convoquer tous les opérateurs postaux pour leur dire que, désormais, nous allons avoir une procédure pour faire en sorte que l'on puisse donner des autorisations provisoires. Celles-ci ont déjà été élaborées et transmises au ministère de l'Information pour être approuvées. Et l'arrêté ministériel qui s'en suivra, va leur permettre de devenir des opérateurs réguliers, en attendant qu'on puisse mettre en place un dispositif légal, approprié, qui est la licence.
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