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31 octobre 2006


Le Fonds de solidarité numérique : un abcès de la gouvernance mondiale en gestation http://www.csdptt.org/article421.html

Promu notamment par le très libéral président sénégalais Wade, le Fonds de solidarité numérique (FSN) reconnaît l’existence d’un déficit considérable et nocif d’accès au biens publics liés aux TIC (Technologies de l’information et de la communication). Pour combler ce “ fossé numérique ”, il faudra de l’argent, d’où la suggestion de créer un fonds dédié, dans le cadre d’un nouvel organisme péri-onusien, le FSN. Mais le primat actuel du credo néolibéral, jusque dans les débats et travaux de l’UIT, conduit à esquiver les besoins de financement public en rêvant d’un improbable mécénat, et à organiser un nouveau démembrement du dispositif de l’ONU, déjà paralysée par son manque de stratégie et d’unité d’action. Autrement dit, le FSN ressemble à un alibi destiné à reporter dans une décennie le constat que le fossé numérique est devenu, pour une partie de l’humanité, quasi-infranchissable.
Le Fonds de solidarité numérique : un abcès de la gouvernance mondiale en gestation
Djilali Benamrane [
1]
La pertinence et l’extrême urgence de traiter de la problématique des enjeux du fossé numérique ne peuvent faire l’objet de contestation, notamment au regard du contexte de la globalisation et des besoins colossaux de financement que cela soulève, dans une vision d’un projet de construction d’une société de solidarité, de paix et de progrès. Qui plus est, l’analyse intervient dans une perspective de combat sans merci, que se livrent les tenants de la domination sans partage du marché et ceux qui se situent dans une perspective de globalisation pouvant se concevoir, se mettre en œuvre et s’épanouir dans une démarche de valorisation des biens publics à l’échelle mondiale. Dans pareille approche, ces biens deviendraient objets privilégiés de la coopération internationale, instruments incontournables de planification globale et de recherche des meilleures conditions de gestion des ressources au regard des besoins à satisfaire.
Une telle démarche permet de faire ressortir un autre aspect aussi déterminant de la globalisation : la gouvernance mondiale en devenir et qui devrait être mieux assurée par des mécanismes de régulation et de sanction, confiés à un système mondial profondément reformé. C’est cette gouvernance mondiale qui donnera la vision du projet social à construire et les repères pour indiquer les meilleurs moyens et voies d’y aboutir, aux moindres coûts et dans les meilleurs délais, tout en demeurant attentive aux impératifs de sauvegarde et de consolidation des principes de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
Le dernier sommet mondial en date, organisé par la communauté internationale, a commencé à traiter, à Genève en fin 2003, des thématiques de la société de l’information et qu’il continuera à poursuivre ses réflexions et propositions à Tunis en 2005 et au-delà. Ce sommet mondial confirmerait, s’il en était besoin, l’échec indiscutable d’un demi-siècle de politiques mondiales de coopération pour le développement et la faillite conséquente du système onusien et de ses agences spécialisées, mises en place pour cela.
L’un des deux thèmes retenus pour la seconde phase du sommet est consacré aux lancinants problèmes du financement, à la préoccupation de mobilisation conséquente et d’allocation rationnelle des ressources, pour répondre à un objectif de traitement du fossé numérique qui existe en matière d’information et de communication [
2]. Ce fossé ne cesse de s’approfondir entre le Nord et le Sud, entre les pays riches et les pays pauvres. Cela devrait impliquer, d’une part, une évaluation en profondeur des mécanismes de coopération et de financement existants, qui ont montré leur limite à contribuer au rééquilibrage de la dynamique du développement mondial, et, d’autre part, donner lieu à des propositions de mécanismes nouveaux pour pallier les insuffisances criantes du modèle existant. La problématique de la mise en place et du bon fonctionnement d’une ou de plusieurs sources de financement des activités capables de réduire le fossé, tel un (ou plusieurs) Fonds de solidarité numérique (FSN), procède de ce contexte.
Les années 1990 resteront marquées par l’essor sans précédent des technologies du numérique et de la miniaturisation qui ont affecté l’ensemble des segments des relations politiques, économiques, sociales et culturelles. Cette révolution est intervenue dans un contexte mondial d’apaisement spectaculaire du conflit Est-Ouest et d’aggravation lancinante et insidieuse des conflits larvés Nord-Sud. Un des résultats inattendus des progrès des technologies de l’information et de la communication, et dont on n’a pas encore évalué l’impact, c’est l’inacceptabilité totale et absolue de l’injustice qui prévaut et qui ne cesse de s’amplifier. Une injustice impossible à cacher, celle qui sépare les standards de vie des populations riches et pauvres. Les échecs des sommets mondiaux plaidant, depuis l’ère de la décolonisation, la mise en œuvre de politiques d’aide publique au développement et de coopération internationale à même de rapprocher les niveaux et les rythmes de développement, se répètent. Ils sont devenus, du fait de l’émergence du fossé numérique, des facteurs de conscientisation, de contestation, de résistance, voire de protestation explosive des populations éprouvées et confinées dans leur désespérance.
Quelques chiffres sur la fracture numérique
Ces informations sont extraites d’un article d’Issa Niang titré “ Télécommunications : les pays africains cliquent sur le fichier du fossé numérique ”, paru dans le quotidien sénégalais Wal Fadjri du 13 avril 2005 [
3] :
“ En Afrique, il n’y a que 25 téléphones pour 1 000 habitants, contre 673 aux États-Unis. Alors que l’Afrique compte 9,7 % de la population mondiale, les internautes africains ne représentent que 1,1 % sur le web. 97 % des sites Internet se créent dans les pays développés, l’Afrique ne générant que 0,4 % du contenu de la toile. De même, l’Afrique ne dispose que de trois serveurs Internet pour dix mille habitants, tandis que l’Asie en possède 37, l’Océanie 995, les Amériques 1 440 et l’Europe 2 293. ”
I. Le contexte de l’émergence du Fonds de solidarité numérique (FSN)
Inauguré officiellement en mars 2005, à Genève qui abrite son siège, la pertinence du FSN, ce mécanisme à composante tripartite - gouvernements, opérateurs privés et société civile - et à vocation mondiale, dépendra dans une large mesure de son positionnement dans le cadre de l’architecture de la gouvernance mondiale en gestation pour gérer le processus de globalisation. Dans sa mission de rationalisation, voire d’imposition des idées dominantes de l’heure, promues par la pensée unique triomphante, l’ONU, en compensation à ses insuffisances reconnues, essaie d’occuper l’espace en mettant par exemple en place, dans le cadre du processus du SMSI, un Groupe de travail sur les mécanismes de financement [
4] (GTMF). Ce groupe de travail a contribué à légitimer la création du FSN et à lever les réticences américaines et européennes, tout en veillant à l’encadrement des analyses, réflexions et propositions, dans le sens de la consolidation du système prévalant qui a pourtant largement prouvé son inefficacité dans le traitement du financement du développement mondial. Cela est largement illustré par le ou plutôt les fossés Nord-Sud qui ne cessent de se multiplier et de se creuser dans tous les domaines d’activité, malgré les multiples engagements et promesses faites par la communauté internationale pour réduire les écarts grandissants dans les rythmes de développement entre un Nord riche, méprisant, opulent et dominant et un Sud pauvre, méprisé, dominé et sans espoir [5] .
Récemment, comme pour relativiser les difficultés rencontrées dans la promotion de ce concept de Fonds de solidarité numérique, plusieurs initiatives sont apparues tendant à en modifier la nature, l’importance et/ou les modalités de mise en place et de fonctionnement. L’une de ces initiatives, sans doute la plus significative, fut celle entreprise par les maires de grandes cités, telles les villes de Lyon et de Genève, rejointes par d’autres grandes villes et capitales comme Turin, Lille ou Dakar [
6], voire par des pays comme la France, le Sénégal, l’Algérie, le Maroc ou le Nigeria et autres partenaires. Elle a donné naissance à l’idée d’un Fonds porté au plan institutionnel par une Fondation de droit suisse, reconnue d’utilité publique, localisée à Genève, administrée par des Suisses, comme pour se prémunir de la malédiction de la mauvaise gouvernance et autres pratiques de dilapidation et de détournement de fonds qui affecteraient le seul continent africain. Africains et non Africains participeraient indirectement à la gestion du Fonds, via des collèges des parties prenantes au partenariat entre gouvernements, secteur privé et société civile, cette dernière entité incluant les collectivités locales et autres pouvoirs locaux.
Des initiatives de solidarité numérique, qu’elles proviennent de collectivités locales, de pouvoirs locaux, d’entreprises multinationales, d’ONG et autres associations ou individus, toutes utiles qu’elles soient, ne peuvent constituer que des appuis mineurs au regard des ambitions affichées par un Fonds de solidarité numérique digne de ce nom, un mécanisme à rayonnement mondial et à vocation universelle [
7] , capable de résoudre la fracture numérique. Cela devrait s’inscrire dans une dynamique de développement global, subordonnant les TIC aux logiques d’interactivité intersectorielle, prise en compte au plan local, national, régional et mondial.
D’autres initiatives, non moins pertinentes au plan des principes, se développent. Celle par exemple qui tente de promouvoir une institution onusienne ou quasi onusienne, à compétence mondiale, pour le financement des besoins du secteur des TIC, sur la base d’un concept à la mode, le multipartenariat, dans l’esprit du Pacte du Partenariat public privé (PPP) qui devrait présider aux nouvelles formes de gestion de l’économie mondiale au service des lois du marché. Les défenseurs du développement communautaire, ceux qui plaident pour l’appui aux micro-réalisations, ceux qui plaident pour des financements prioritaires en faveur de l’accès aux TIC des femmes, des handicapés, des jeunes et des moins jeunes, ne sont pas absents des débats et proposent des formules de micro-crédits pour promouvoir des opérateurs des TIC dans des zones de grande pauvreté ou en faveur de telle ou telle catégorie sociale discriminée. Il est difficile de voir clair dans pareil foisonnement de plaidoyers fondés portant sur des besoins justifiés, sans mise en cohérence, ni mise en perspectives des interactions et des synergies. Une telle anarchie, conforme aux lois du marché et à la libre concurrence, y compris dans l’expression des besoins, est profitable aux opérateurs privés, véritables prédateurs qui n’hésitent pas à accumuler les profits sur le dos des pauvres. C’est là une des “forces” inexplorées des lois du marché que l’approche alternative des biens publics à l’échelle mondiale entend dénoncer.
II. Origine et pertinence du concept “ Fonds de solidarité numérique ” (FSN)
Le SMSI aurait dû offrir une opportunité historique pour rappeler les dysfonctionnements graves de la société et de l’économie mondiales. Malgré les engagements répétés de la communauté internationale, l’écart dans les niveaux et les rythmes de croissance et de développement ne cesse de s’approfondir, le fossé numérique n’en étant qu’une manifestation criante parmi d’autres.
Au sein des populations qui souffrent de ces fossés, des voix se sont prononcées, celles notamment de certains leaders africains parmi les plus actifs, pour la promotion du NEPAD [
8] en général et des secteurs d’activités des technologies de l’information et de la communication en particulier. Ces voix ont dénoncé l’incurie des mécanismes internationaux de financement et un soi disant parti pris pour l’aide publique au développement (APD), soulignant l’incompatibilité d’une telle approche avec les options libérales en vogue de par le monde [9]. Ces voix prônent la mise en place de mécanismes nouveaux, fondés sur des partenariats décentralisés, sur le volontariat et l’anonymat des donateurs, sollicités lors d’opérations commerciales comme l’achat d’un micro-ordinateur ou d’un logiciel, voire des consommateurs piégés lors d’opérations vitales ou courantes comme l’accès à des communications téléphoniques ou à Internet.
D’autre part, les initiateurs du FSN croient innover lorsqu’ils prétendent rompre avec les démarches et la légitimité de l’APD ainsi que de la coopération internationale interétatique pour s’inscrire dans une logique de mobilisation de ressources, décentralisée, privatisée et marchandisée. Ce faisant, ils discréditent les arguments de ceux qui entendent s’attaquer aux entreprises, sociétés et individus riches qui auraient pu être taxés lors d’opérations financières, comme maintes fois recommandé sans succès par l’initiative Tobin, ou plus récemment suggéré lors du Forum de Davos en Suisse, fin janvier 2005, par le Président français Chirac ou celui du Brésil Lula Da Silva. Ces derniers ont plaidé pour la taxation du transport aérien ou de la vente des armes pour alimenter les besoins de financement d’un véritable programme de lutte contre la pauvreté en général ou de la pandémie du sida en particulier.
En vérité, l’initiative de promotion du FSN a un premier inconvénient majeur, celui d’ajouter à la confusion propice aux prédateurs, principaux bénéficiaires des règles du marché. La fracture numérique est reconnue et l’idée de s’en occuper est partagée, mais tout est fait pour éviter d’avoir une vision globale des besoins et d’en cerner les priorités, les échéances et les impératifs de financement. Nulle part, il n’est fait une distinction sur la hiérarchisation des activités à mener, ni de ce qui relève des investissements lourds d’infrastructures de base, des dépenses d’équipements, de matériels, de formation ou de création d’un environnement porteur. Laisser le soin au marché d’organiser la cohérence de l’ensemble, c’est organiser la jungle et la convoitise des opérateurs privés, c’est ouvrir la voie au gaspillage et à l’anarchie, que les règles du marché ne peuvent à elle seules contrôler et corriger.
Le second inconvénient découlant de cette pratique consiste à focaliser l’attention et les débats sur des institutions et mécanismes nouveaux dans un environnement incertain, d’interrogations sur le devenir des institutions onusiennes. Il est encore loin le consensus sur les impératifs de réforme de la composition et du mandat du Conseil de Sécurité de l’ONU. Quid de la légitimité des dizaines d’agences onusiennes dont les attributions se télescopent ? Certaines, pour ne pas dire la plupart, perdent au fil du temps des pans entiers de leurs mandats d’instrument de coopération internationale et, pour subsister, affichent une soumission aux orientations et injonctions de privatisation, de libéralisation et de domination du marché.
Enfin, comment justifier auprès des donateurs, des bailleurs de fonds et de leurs populations attentives à la bonne utilisation des ressources disponibles, que de prestigieux leaders africains se mobilisent personnellement et avec tant de zèle [
10] pour s’investir dans la collecte des fonds dont ils ne sont même pas sûrs de contrôler le bon usage, alors qu’ils marquent un intérêt tout relatif lorsqu’il s’agit de phénomènes aussi importants que l’insuffisance criarde de l’aide publique au développement, l’application des technologies adaptées, la reforme de l’ICANN [11] ou le soutien aux logiciels libres ?
Plus simple et plus pratique encore, si l’accès à l’information et à la communication était devenu une préoccupation majeure des leaders animateurs de la promotion du FSN, pourquoi ne pas décider d’allouer un pourcentage significatif des apports du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) ou des Fonds de l’association pour le développement international, du groupe de la Banque mondiale (AID/BM) à ce secteur d’activité, aussi bien en ce qui concerne les procédures d’allocations par pays que dans le cadre de programmes régionaux et globaux financés par ces fonds ? N’aurait-il pas été plus indiqué de négocier collectivement avec les principaux bailleurs de fonds, pour convenir d’allouer à ce secteur d’activité présenté comme prioritaire, les ressources collectées soit dans le cadre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (IPPTE), soit dans celui de l’effacement de la dette contractée par les pays en développement ?
Enfin, pour rendre plus simple toute cette problématique du financement, pourquoi ne pas proposer l’affectation dans la transparence et sous le contrôle de la communauté internationale, de tout ou partie de l’aide publique au développement au Fond mondial de lutte contre la pauvreté et non aux fonds de l’AID/BM, lequel Fonds mondial répartirait plus objectivement et avec plus de transparence et d’équité, les ressources en fonction de la nature des fossés affectant les dynamiques de développement et des priorités dans leur prise en compte ?
Le Rapport du TFFM [
12], censé répondre à ces interrogations, les a à peine effleurées. Il ne contient aucun bilan sérieux des nombreux mécanismes existants, pas même une liste exhaustive ! Aucune proposition d’intégration et ou de rationalisation de ces mécanismes à fonctionnement douteux ! Seule une référence d’appui du bout des lèvres au Fonds de solidarité numérique si controversé. Incompétence, complaisance ou diplomatie, le rapport aura été quand même salué lors du Prepcom II, à l’exception du Groupe de travail de la société civile sur les mécanismes de financement qui l’a rejeté en bloc dans une Déclaration en dix points [13].
III. Les objectifs du FSN
Dans sa conception originelle, le FSN devait avoir pour objectif l’accès universel, généralisé et effectif, individuel, familial ou collectif, aux technologies de l’information et de la communication. Sa concordance avec les principes de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et sa vocation mondiale, tout comme son appui à une démarche favorable aux biens publics à l’échelle mondiale, devaient lui assurer une large adhésion. Il était supposé s’intéresser au devenir de la société mondiale, une société nouvelle dans laquelle le citoyen du monde, quel que soit son lieu de résidence, son niveau de revenu ou d’éducation, ses qualifications professionnelles, son sexe ou son âge, pourra disposer de toutes les facilités qu’offrent les TIC, dans quelque domaine d’application que ce soit. Cela aurait dû garantir en outre les libertés fondamentales et faciliter l’exercice des droits démocratiques, dans le souci de satisfaire des besoins essentiels et de concourir à l’épanouissement économique, social et culturel des populations.
Le niveau d’homogénéité recherché quant aux normes de satisfaction serait identifié, évalué et suivi par des indicateurs qualitatifs et quantitatifs, capables de repérer les dysfonctionnements et d’en proposer des correctifs.
Cela aurait dû impliquer de situer fermement la démarche dans une préoccupation prioritaire de trouver des solutions au retard pris par les pays pauvres et de répondre aux besoins de leurs populations dans les meilleures conditions possibles, sans a priori idéologique, fut-il celui du libéralisme dominant. Pour ce faire, les ressources à mobiliser auraient dû être évaluées, au regard des technologies les plus appropriées et les plus adaptées aux capacités et compétences disponibles dans les pays bénéficiaires. Les ressources devraient être aussi sécurisées pour assurer une prévisibilité maximale. Leurs conditions d’allocation auraient dû être garanties sur une période convenue, elles auraient dû être décidées dans la concertation et dans la transparence, dans le cadre de stratégies globales, régionales et nationales.
Cela aurait dû être fait à l’aide de mécanismes sous contrôle de la représentation des pays et des populations bénéficiaires, avec de préférence des sièges, antennes et représentations, situés dans ces pays et non dans les capitales des pays donateurs ou abritant les intérêts des opérateurs internationaux intéressés par les programmes et projets de conseils, de mise en œuvre, d’évaluation et de suivi.
Les modalités d’administration et de gestion d’un tel mécanisme auraient dû pallier les insuffisances reprochées aux pratiques de fonctionnement du système onusien décrié pour sa bureaucratie, ses surcoûts et sa dépendance à l’égard des pays riches donateurs et des institutions intergouvernementales et entreprises multinationales qui en émanent.
À l’origine, pour leurs promoteurs, les initiatives de création de mécanismes de mobilisation des ressources ont visé à répondre aux impératifs de soigner la fracture numérique qui existe et qui s’aggrave. Les propositions d’allocation des ressources à mobiliser (60 % en faveur des PMA, 30 % en faveur des PVD et 10 % des pays développés), laissent supposer une préférence judicieuse pour le continent africain qui renferme la majorité des PMA. Des engagements de forme ont été pris pour tenter de réduire au strict minimum les coûts de fonctionnement : moins de 6 % des fonds mobilisés. Restait à savoir comment ces coûts seraient calculés en tenant compte des nombreuses pratiques des partenaires donateurs, bilatéraux et multilatéraux bien intentionnés, qui prélèvent sur leurs dons et prêts concessionnels des marges exorbitantes pour des frais d’accompagnement, d’études, d’évaluation et de suivi.
Le FSN est opérationnel, c’est un micro fonds destiné à financer des micro réalisations de préférence exécutées par les opérateurs privés, même s’il disposera de structures de fonctionnement, y compris des représentations régionales.
IV. Les modalités possibles de fonctionnement du FSN
Dans l’absolu, le Fonds de solidarité numérique mis en place aurait dû avoir, pour mériter le label “mondial” dont il se prévaut, le statut d’une institution internationale pour que son personnel puisse jouir, sinon des hauts salaires et autres avantages, au moins des facilités conférées par ce type de statut [
14]. Il aurait dû se défaire de tout carcan suisse et de toute tutelle africaine trop affichée, même si elle était légitime.
Le concept de solidarité numérique qui sous-tend la mise en place de ce Fonds n’a nul besoin de suivre une approche à la mode dans les développements récents de l’idéologie libérale. Cette idéologie triomphante est marquée par des tendances lourdes à vouloir substituer les effets bénéfiques du marché et des initiatives privées, spontanées ou suscitées, en lieu et place de l’aide publique au développement et aux engagements et interventions des États, pourtant plus transparents, plus vérifiables et le cas échéant plus facilement dénonçables.
Au regard des objectifs de mobilisation des fonds, les promoteurs du FSN ont décidé qu’il fonctionnerait selon la modalité du volontariat pour ce qui concerne l’évaluation des ressources nécessaires pour son propre fonctionnement (personnel, locaux, etc.) comme pour ses interventions en micro-programmes et projets visant à contribuer au comblement du fossé numérique. Le volontariat se ferait sur la base de collectes, vraisemblablement coûteuses et complexes, de contributions directement liées à la commercialisation de biens et de services dans le secteur des TIC (concepteurs, fabricants ou distributeurs d’équipements, de matériels et de services, opérateurs publics, privés ou associatifs, autres contributeurs). Ces prélèvements devraient se faire de préférence au niveau des consommateurs de ces biens et services pour leur donner un caractère indolore !
Reste à répondre à une question fondamentale quant aux menaces réelles d’effondrement de l’initiative lorsque, après plusieurs années d’efforts pour une mise en place laborieuse de l’ensemble, on se rendra compte qu’il aura fallu des années sinon des décennies de fonctionnement FSN avant de pouvoir mobiliser le dixième ou le centième des besoins requis. Qui assumera a posteriori l’erreur fatale, et qui compensera les pertes d’opportunité découlant de ces mauvais choix stratégiques ?
Conclusion
Le Fonds de solidarité numérique risque de ne constituer qu’un palliatif inefficace et inopérant pour prétendre participer utilement au comblement du fossé numérique et, au-delà, à la réduction de l’état de sous développement, d’arriération, de misère et de désespoir qui prévaut dans le monde d’aujourd’hui et que les TIC exaspèrent. Le FSN procède de ces pratiques détestables qui consistent à préférer des innovations institutionnelles et procédurales plutôt que d’examiner des possibilités parfois moins coûteuses et plus efficaces de réformes, fondées sur des politiques systématiques d’évaluation, de suivi et d’actions correctives. En ce domaine, le choix inconsidéré pour les nouveautés se retrouve aussi et avec les mêmes inconvénients dans la préférence pour les technologies de pointe, plus coûteuses et plus difficilement maîtrisables dans le contexte africain que l’option pour des technologies appropriées, adaptées aux caractéristiques des populations à satisfaire.
En la circonstance, la course effrénée pour tout ce qui est nouveau permet aux bailleurs de fonds et aux multinationales assoiffées de profits de ne jamais devoir se justifier des mauvais conseils d’experts royalement rémunérés, ni d’identifier les origines et les effets des implantations d’“ éléphants blancs ” qui plombent tous efforts réels ou autonomes de développement. Il est pour le moins bizarre que cette appellation ait connu ses heures de gloire et ait été utilisée comme une arme redoutable lorsqu’elle servait d’instrument idéologique de repérage, d’identification, d’amplification et de condamnation du moindre dysfonctionnement dans les pratiques de coopération Est-Sud. Aujourd’hui, avec la fin du conflit Est-Ouest et dans cette phase de règne de la domination sans partage du marché, les “ éléphants blancs ” qui sont générés par le monde des affaires sont devenus des mammouths fréquentables, des colombes protégées qui engloutissent dans leur envolée des milliards de dollars au plus grand profit de certains [
15].
Le chemin sera long et difficile et les efforts seront immenses pour conscientiser les mentalités des populations et les éclairer sur les enjeux, afin qu’elles puissent quitter la désespérance et s’investir dans l’espérance pour mener le combat jusqu’à la victoire. Dans un contexte d’instabilité liée à la construction d’un monde global sans vision concertée ni repères de bonne gouvernance mondiale ni institutions mondiales qualifiées, les biens publics à l’échelle mondiale ne s’affirmeront et ne progresseront que s’il y a une demande des populations capables d’exprimer le besoin, d’en imposer la légitimité et d’en exiger la satisfaction effective et universelle, à des conditions qui leur soient supportables. Cela peut aller de la gratuité totale d’accès au paiement subventionné - l’application de la règle d’or du marché, la confrontation de l’offre rentable et profitable et de la demande solvable, ne pouvant s’appliquer dans un tel contexte.
[
1] Djilali Benamrane est spécialiste de l’économie du développement. Il a eu une longue expérience dans les domaines de l’enseignement universitaire et de la recherche. Praticien du développement, il a exercé sur le terrain dans plusieurs pays africains en qualité d’économiste au service du système onusien. Il est aujourd’hui actif dans les luttes menées dans le monde associatif au sein de la société civile, participe aux travaux du SMSI et anime la réflexion sur la communication au sein de l’association Biens publics à l’échelle mondiale.
[
2] Le premier thème concerne la gouvernance de l’Internet qui donne lieu à des différences notables dans les positions entre les Gouvernements des pays du Nord et ceux du Sud et entre les différentes composantes du multipartenariat - gouvernements, Organisations intergouvernementales (OIG), secteur privé et société civile.
[
3] L’intégralité de l’article est disponible à http://www.walf.sn/economique/suite.php ?rub=3&id_art=18516
[
4] Plus connu sous son acronyme anglais UN-TFFM, officialisé fin septembre 2004, placé sous la direction du PNUD et incluant, parmi la vingtaine de ses membres désignés, un ou deux membres cooptés, représentatifs semble-t-il de la société civile. Cette dernière n’a pourtant pas eu à s’impliquer d’une façon ou d’une autre dans les mécanismes de désignation, alors qu’elle était sensée disposer d’un groupe ad hoc sur ce sujet, déjà opérationnel à ce moment : cf. http: //www.wsis-finance.org. Le TFFM a rendu rapport au Prepcom II, un document sans imagination, sans ambition ni proposition à la mesure des attentes.
[
5] Pour ne citer que les derniers engagements de la communauté internationale en la matière : le Sommet mondial du Millénaire (New York 2000) ou le Sommet mondial de Monterrey sur le Financement du développement. Les pays riches réitèrent en toutes circonstances leur disponibilité à respecter leurs engagements des années 1960 d’allouer 0,7 % de leur PNB à l’aide publique au développement. Engagements jamais tenus !
[
6] Le rapport de la réunion de décembre 2004 du TFFM, dans une entreprise de minimisation de l’initiative du FSN, considère injustement que le concept du FSN est le fait du Sommet des villes, tenu à Lyon en décembre 2003, en prélude à la phase 1 du SMSI de Genève - décembre 2003. En réalité, beaucoup d’observateurs considèrent que l’initiative était portée bien au paravent par le Président Wade du Sénégal, lequel en avait fait la promotion, notamment lors de la Prepcom II de la phase I du SMSI, à Genève en février 2003.
[
7] Cette vision planétaire d’un tel mécanisme de mobilisation des ressources pour financer le comblement du fossé numérique semble prévaloir comme l’attestent les discussions et recommandations du Prepcom II (Genève, février 2005).
[
8] New partnership for Africa’s development.
[
9] Pourtant, ces voix sont parmi les premières à solliciter toutes les sources de financement existantes pour tirer le plus grand avantage pour leurs pays respectifs.
[
10] De tous les Présidents africains, c’est celui du Sénégal qui s’est le plus investi dans l’initiative, il est vrai qu’il est un fervent partisan du NEPAD où il est en charge des TIC.
[
11] The Internet corporation for assigned names and numbers (ICANN).
[
12] Task force on financial mechanisms (TFFM).
[
13] Ce rapport est disponible sur le site web http: //www.wsis-finance.org
[
14] Le FSN mondial dont il est question ici est un concept diffèrent du FSN mis en place en mars dernier, qui a une portée beaucoup plus limitée et qui fonctionnera selon un statut de droit suisse. Ceux qui espèrent qu’un tel fonds de solidarité des villes et des individus pourrait répondre aux besoins de financement du fossé numérique mésestiment la nature et l’ampleur de ces besoins dans les pays retardataires.
[
15] Au Prepcom-2 de Genève - février 2005 - J.L.Fullsack a rappelé dans sa déclaration en séance plénière, le cas de “ WorldCom, véritable effigie néolibérale devenu premier opérateur mondial en capitalisation boursière et grand prédateur des opérateurs de télécommunications et qui a causé la plus grande faillite de l’histoire des USA et le plus grand détournement financier jamais enregistré, plus de 11 milliards de dollars ”. Il a cité aussi le cas d’Africa ONE, un projet de 2 milliards de dollars mis en place dans le cadre d’un partenariat AT&T - UIT - opérateurs privés et États africains, qui a complètement échoué, engloutissant des dizaines de